mercredi 20 avril 2016

Psychogeographie indoor (67)


« Rêver à la suisse : ne penser à rien »

1.

12 janvier 2016.- Ciel globalement nuageux (3°C-> 10°C). Tenté de lire quelques lignes de Joseph Joubert, not in the mood, le labeur me dessèche l'envie, l’inspiration et presque bien plus encore.

14 janvier 2016.- Quelques flocons matinaux (0°C->4°C). Joubert et l'éloquence ; il est nécessaire de ne dire que ce que l'on pense mais à demi « vaguement depuis peu ; à l'instant même. La chaleur des pensées vient de la nouveauté… » Cioran, sa trop fameuse haine de l'humanité qui l’empêche de raisonner «  c'est de l'exaspération ininterrompue… », il ne peut plus supporter la proximité de l'homme. Chez Fargue tout est plus triste et joli, les maisons ont mis leur tablier gris, la rue est maussade comme une porteuse de pain congédiée, les choses paraissent heureuses et malades… Joubert, Cioran, Fargue… alliage hétéroclite, néanmoins c'était là mes lectures du jour…

15 janvier 2016.- Giboulées neigeuses (0°C-> 3°C). Humeur fluctuante oscillant du radieux au morose dans la même journée, la bipolarité me guette certainement. Lu une grande partie du Monde des Livres. Menu presque alléchant (Orwell, Echenoz, Pirotte…), mais tambouille finalement un peu terne. Seul Chevillard dans son feuilleton embarquait quelques couleurs avec lui. C'est l'un de problèmes des temps qui nous occupent : les « passeurs » y sont beiges et guère emballants… Acquis les Carnets de Joubert (j’imagine qu'ils valent bien ses emballantes pensées),

16 janvier 2016.- Nuit neigeuse, journée moins aventureuse, de gros nuages noirâtres sur un ciel bleu pâle (1°C). Grande fatigue, incapable de faire le moindre mouvement. Dans ces conditions même la lecture pose problème. Impossible d’apprécier les chroniques de Flann O'Brien à leur juste hauteur.

18 janvier 2016.- Chute de neige (0°C). Still a little sick. Slight return in Maurice Garçon diary . Occupation, antisémitisme et veulerie… Un terrible portrait de Coco Chanel en vieille coquette défraîchie. Le train-train de la collaboration…
Ma pile de livres à lire monte de jour en jour (Jacques Réda, Henry James, Carlo M Cippola, Jean Rhys…)

19 janvier 2016.- Redoux (6°C). Picoré tous azimuts. Dix pages du Journal de Maurice Garçon (collaboration et dénationalisation des juifs de France : drôle d'écho), un papier de Philippe Sollers (Sur Mauriac devancier aquitain), une chronique de Bernard Frank (Sur Chloé Delaume, « petite jeune » qui grimpe), quelques Pensées de Joubert (le comique et le tragique), un poème de Léon Paul Fargue. Fini la journée dans les Cahiers d'un Cioran toujours « heureusement » chafouin : « Première condition d'une société parfaite : pouvoir tuer ceux qu’on déteste. »
Par ailleurs, Michel Tournier est mort, les jours s’allongent, tout est appelé à recommencer.

22 janvier 2016.- Quelques éclaircies (8°C). Le Monde des livres, chroniques guère enthousiasmantes de Chevillard et Michon (l'un sur Sylvie Germain, l'autre sur Stevenson). Bon papier d'un Bertrand Leclair parti à la rencontre de Bruno Bayon, cet homme en morceaux sibyllin qui fit les plus sombres beaux jours de feu Libération. Pour le reste, je suis bien éteint, il me faudrait un nouvel élan bien à même de me faire décoller ne serait ce qu'un petit peu. Unfortunately je suis sans force, mon nouvel envol attendra.

Plus tard ouvert L'Effraie et autres poesies de Philippe Jacottet (Suisse conséquent) :

La nuit est une grande cité endormie
où le vent souffle… Il est venu de loin jusqu'à
l'asile de ce lit. C'est la minuit de juin.
Tu dors, on m'a mené sur ces bords infinis,
le vent secoue le noisetier. Vient cet appel
une lueur fuyant à travers bois, ou bien
les ombres qui tournoient, dit-on, dans les enfers.
(Cet appel dans la nuit d'été, combien de choses
j'en pourrais dire, et de tes yeux…) Mais ce n'est que
l'oiseau nommé l'effraie, qui nous appelle au fond
de ces bois de banlieue. Et déjà notre odeur
est celle de la pourriture au petit jour,
déjà sous notre peau si chaude perce l'os,
tandis que sombrent les étoiles au coin des rues.

23 janvier 2016.- Beau temps frais (9°C). On ravale l'une des façades de l'immeuble jouxtant mon modeste logis. Furibonds coups de marteaux, avalanche de gravats, poussière saumâtre et éclats de voix lusitano-polonais (l'Europe du bâtiment se trouve être ce qu'elle est), les conditions lectorales n'étaient donc pas optimales aujourd’hui. Taking my courage in both hands j'ai tout de même poursuivi le Best of Myles de Flann O'Brien. Flann se révèle être un drôle de type qui raconte de drôles de choses. Il y a par exemple cette histoire où il noie puis dilue son propriétaire dans un bain d'acide pour mieux le boire en une gorgée, d'autres histoires plus croquignolettes les unes que les autres, des coqs à l’âne cocasses, un entrain un peu sautillant, mais aussi parfois un peu d'ennui, il faut bien l'avouer.
Acquis Connaissez mieux le cœur des femmes roman tout à fait suisse de Pierre Girard que j'envisage déjà très bon (on me dit beaucoup de bien de Pierre Girard).

24 janvier 2016.- Du soleil (9°C). Fini le Best of Myles de Flann O'Brien. Retour dans le Journal de Maurice Garçon, toujours passionnant. L’occupation et la collaboration observées de l’intérieur, la désinvolture de Sacha Guitry, les ricanements de Léautaud, les embrouilles pétainistes, la brutalité faussement policée de l'occupant…
En complément (et en parallèle) je devrais relire le bon livre que Pascal Ory avait consacré aux collaborateurs.

25 janvier 2016.- Beau temps basculant du frigorifique au douceâtre (0°C-> 14°C). Fatigue et apathie, guère d'envie. Rien lu.

28 janvier 2016.- Quasi beau temps, douceur (15°C). Toujours cette façade que l'on ravale au coin de ma rue, beaucoup de bruit corrélatif, des vibrations et une concentration difficile à trouver lorsqu'un livre s'offre à moi. En conséquence lectures fragmentées, le début de Pour Guy Debord court tombeau par une Cecile Guilbert debordienne en diable, quelques poèmes de Philippe Jaccottet : la Sicile, des oiseaux, un suisse décidément conséquent.

29 janvier 2016.- Rares et beaux nuages (11°C). Cécile Guilbert et Debord. Pièges du langage, langue de bois, registre moral et correction politique. L'époque cède déjà au pire (nous sommes en 1995). Il faut réagir : « La vérité est devenue mensonge, comme la politique est devenue économique, le travail emploi, l'art culture, la parole commentaire, la personne personnalité. Demain la guerre… »
Le tombeau de Cécile Guilbert à beau dater un peu (ces quelques pages un peu obsolètes sur l’informatique et la littérature) il est toujours d'actualité.

2.


30 janvier 2016.- Vent léger, ciel maussade (10°C). Je lis Envoyée spéciale le nouvel opus de Jean Echenoz. C'est un faux roman d'espionnage très ligne clair et assez à la mode de chez ce qu'est devenu Minuit. Echenoz porte une attention drolatique aux objets et à la topographie (Paris et la Creuse), il tourne ironiquement autour des êtres (qui portent tous de bien amusants patronymes), sa musique lactescente est bien en place, tout est presque pour le mieux. Vous me direz qu'il n'y a rien de vraiment conséquent dans tout cela, que les grandes pattes de l'ontologique ne saisissement jamais des pages comme suspendues dans un petit halo postmoderne, vous aurez raison. Cependant, Echenoz s'en fiche un peu, sa petite entreprise ne vise pas si haut. On sourit parfois, on s'ennuie un peu, le récit avance, le temps passe.

31 janvier 2016.- Averses (12°C). Dimanche aboulique. Envoyée Spéciale : assez distrayant, souvent amusant nonobstant l’exercice est plus vain que profitable. Echenoz renoue avec sa première manière, perd en émotion, se délite un peu dans l'ironie et le clin d’œil, nous voila bien.

1 février 2016.- Douceur hors de saison (15°C). Laissé choir l’Envoyée Spéciale d'Echenoz, je le finirai dans quelques jours, décanté il sera peut-être plus à mon goût. En attendant, poursuivi la lecture du court Debord de Cécile Guilbert. Un peu d'emphase, un peu trop ton sur ton, mais il y a des moments, des évidences, que je tamponne tout à fait : « Constater me semble parfois plus prudent qu'avoir des idées. ». Fini le spicilège Jacottet entamé il y a quelques jours (L'Effraie et autres poésies), parfois magnifique, toujours raide. Dernières acquisitions : Connaissance de l'Est (Claudel), Plonger (Chambaz), Voyage en France (Henry James), D'après nature (Sebald), La Prisonnière des Sargasses (Jean Rhys).

2 février 2016.- Nuages (14°C). Mon humeur est comme l'époque : sinistre. En dehors de quelques « taisables » peccadilles, rien lu.

4 février 2016.- Nuages, nuages (7°C) Intrigué par un début d'incertitude envers moi-même j'ai relu quelques-unes de mes mes anciennes notes diaristiques. Elles n'étaient certes pas foudroyantes, mais elles avaient pour elles le léger charme souffreteux d'une « petite musique » anémiée. Aujourd’hui plus rien de tout cela, je suis factuel et sec comme une trique, je ne pense pour ainsi dire plus et je ne peux que constater l’impasse d'une petite entreprise que je continue par habitude ( encore combien de temps ?). Évidemment après un tel constat l'entrain n'est pas vraiment de mise, mais j'ai tout de même ouvert un nouveau volume. Il s'agit des écrits critiques de Philippe Jaccottet que j'ai acquis un peu par la bande et dans des conditions de semi-légalité flibustière ( Écrits pour papier journal – Chroniques). On y retrouve un Jaccottet encore vert qui écrit plus ou moins alimentairement pour quelques gazettes Suisses et Françaises. Le menu est appétissant (Faulkner, Büchner, Powys, Rilke, Dhôtel, Butor, le nouveau roman…) et je l'ai entamé par le milieu, une belle notule consacrée à Charles Albert Cingria avec quelques admirables extraits de ce dernier : « Cette secousse – car ce n'est qu'une secousse ou, si vous le voulez, un coup de poing ou de nageoire sur le tambour de l'âme – il est inutile d'en décrire les effets si on ne les éprouve pas. On ne fait alors que de rire, et l'heure, je le répète, n'est pas du tout à cela, ni à rien qui soit du temps ou de l’élégance perdus sur le papier, ni à des caniches, ni à des dames, ni à du thé, ni à des verbiages et des radotages de hauts politiciens. Les temps n'appartiennent plus qu'à ceux qui se passent en silence des cartouches dans leurs poches, cherchant à droite et à gauche un masque ferme et ne le trouvant pas ; pensant alors à plus tard, à bientôt… mais il vaut mieux n'en pas parler. Elles étaient bien belles, à vrai dire, ces montagnes où s'appesantissait le train presque sur l'eau, entrant et sortant presque tout le temps des tunnels, ce jour où je fis tant de réflexions sur l'homme…»

5 février 2016.- Giboulés (10°C). Journal pygmée des Vies minuscules (Pierre Michon). Je l'admets sans clignoter, j’ai longtemps été perplexe voire confusément ennuyé par ces Vies Minuscules, touché parfois quand presque comme par hasard je trouvais la véritable mesure de ma lecture, mais souvent décroché par la cadence de toutes ces phrases un peu cotonneuses, par cette prose semi-précieuse, cette ponctuation en trou noir paraissant absorber les lexies , le signifiant,et davantage encore la matière des mots. Une littérature plus que lactescente : caillée… avec déjà un petit peu de jaune, une saveur aigre dans les narines, ce coté paysan, mornes pleines de Saône-et-Loire (c’est pour moi), splendeurs cachées de la Creuse, toutes ces histoires de familles, ces petites vies, bref au mitan du centre de ma modeste lecture j’étais dubitatif sur le Michon.
Force est de constater que je me trompais, que mon problème face au Michon c’était plus que lui, moi, mon inaptitude crasse à trouver un vrai rythme de lecture, mon manque d’implication et de concentration pour vraiment pénétrer ces fameuses phrases en trou noir, leur densité adamantine, ma bêtise, oui ma bêtise, il faut bien l’admettre.
Reprenons…
La masse, la charge électrique et le moment cinétique. Si la phrase de Pierre Michon est un trou noir, c’est peut-être parce qu’elle accapare les mots (la masse des mots), leur charge électrique, et que plus qu’une mise en abyme ou une représentation courbée des mots sur eux même c’est un agrégat de lumière noire qui là - bien qu’invisible - apparaît. Le Michon plus qu’une langue alors forme un lieu mélancolique, au bord de l’ergosphere dans cette région où rien ne peut rester stationnaire, où tout est emporté, doucement, secrètement.
Pour mieux comprendre comment le Michon fonctionne (Le Michon comment ça marche ! ) , il faut remonter à la source, pourquoi cette langue excessive, ce lieu triste sombre et abattu aux lisières de l’ergosphére, phénomène inobservable ?
« Le miracle c'était simplement, à près de quarante ans, de pouvoir danser, enfin, sur mes deuils. C'était que mon désastre intime se résolve en prouesse, mon incapacité en compétence, ma mélancolie en exultation, bref toute chose en son contraire. Mais tout cela obtenu et prouvé, cette compétence, cette exultation, qu'en faire? C'est là le deuxième écueil, l'écueil de l'écrivain qui écrit. Le miracle initial, on est bien tenté de le transformer en métier »

6 février 2016.- Doucereuse tempête (15°C). Finalement l’Envoyée Spéciale d'Echenoz ressemble à un roman policier de Frédéric Dard qui aurait été javellisé par les Éditions de Minuit. Ouvrez un San Antonio du milieu des années soixante-dix (du siècle dernier), enlevez les personnages rabelaisiens, conservez les décors et l'intrigue, nous y sommes presque ! Je ne suis pas certain que cela soit un immense compliment (la machine lactescente d'Echenoz semble tourner à vide et vire au caillé). On sourit trois fois, on pouf deux fois mais l’ensemble reste assez ennuyeux. Certes les quelques précisions d'ordre « touristiques » de la partie coréenne ravivent un semblant d’intérêt, mais l'essentiel du mal est déjà fait, l’exercice est vain, terriblement vain ?
N.-B S'agissant de la Corée du Nord il y a un excellent petit livre de Jean-Luc Coatalem (Nouilles froides à Pyongyang) il y a aussi quelques belles pages de Claude Lanzmann (Dans le Lièvre de Patagonie).

7 février 2016.- Restes tempétueux, petite pluie glacée (4°C). Fini la « fantaisie policière » de Jean Echenoz. Rouvert et fini le Pour Debord de Cécile Guilbert qui pourrait bien être un beau tombeau en forme de panégyrique (ou l'inverse). L'impérieuse oisiveté de Debord, son dandysme, plus que sa haine de l'époque, son mépris et plus que son mépris sa hauteur de vue. En définitive, voila un assez bon livre et en tous les cas une belle armoire à citation : «  Le temps trompeur nous dissimule ses traces, mais il passe, rapide. Vous gardez peut-être encore le caractère gai de la jeunesse – Mais vos cheveux sont déjà tout blancs ; et à quoi bon vous plaindre ? »  Li Po

8 février 2016.- Nuages et vent aigrelet (10°C). Je suis plongé dans les écrits critiques de Philippe Jaccottet et je dois dire qu'ils sont d'une lecture tout à fait revigorante. Jaccottet dézingue un peu, il aime surtout. Beaux textes sur l'Art Brut et Gaston Chaissac (dont la fraîcheur et la rouerie ne sont pas feintes), su André Ady grand poète hongrois traduit par Armand Robin, sur Benjamin Constant, sur la mort de Paul Eluard… Au-delà de la justesse de vue, ce simple constat : il suffit pour le critique de bien choisir son sujet pour que l'essentiel soit presque fait.

11 février 2016.- Froideur et pluie ratée (6°C). Not in the mood. Some pages of Philippe Jaccottet. Nothing else.


3.


12 février 2016.- Petite pluie glacée, trois éclaircies (4°C). Pierre Girard est un romancier suisse oublié que l'on redécouvre grâce à la ténacité de quelques chuchoteurs insistants. Ce serait un maître de la chronique légère et un styliste pour ainsi dire magnifique, autant de compliments qui m’ont poussé à entreprendre la lecture de Connaissez mieux le cœur des femmes l'un de ses romans les plus trouvables. L’entame ne déçoit pas (même en bien). Il faut dire que le héros, un certain Paterne, à beaucoup pour se décevoir lui-même et tout pour réjouir le lecteur. Voilà un drôle de gandin qui vit chez sa tante et son oncle à l'âge fort avancé de trente-trois ans et demi, un type qui en dehors des séances de la Société d’Études bibliques ne sort jamais le soir, un type qui existe sur la pointe des pieds tout en espérant qu'une fille lui effleurera un jour la main. Avec un tel programme, on pourrait imaginer une petite comédie aigrelette, il n'en est rien, Girard reste toujours dans une douce ironie, il ne se moque jamais de ses personnages, il n'est pas là pour nous faire rire sous cape, c'est un gentil qui sait rester à l'écart du gentillet. Bref, voilà un début épatant, j’imagine que la suite le sera aussi : « Il rentra chez lui, triste à mourir. Rien n'arrivait. Rien n'arriverait jamais. Il sortit de son tiroir un cahier assez épais, relié en basane. C'était le journal de Paterne. Mais depuis huit ans qu'il l'avait acheté, il n'avait rien trouvé à y inscrire. Rien n'était arrivé à Paterne. Aucune Suédoise ne l'avait embrassé en pleurant, dans la rue, le soir, et le quittant, ne lui avait remis un objet doré. Paterne n'avait jamais vu d'accidents, d'incendies, de noyades. Il n'avait jamais été invité au banquet des sapeurs-pompiers, n'avait jamais eu l'occasion de menacer des Espagnols, d'injurier des Portugais… »

14 février 2016.- Ciel oscillant du plombé à l'ensoleillé avec un léger goût mars en février (10°C). Ces deux derniers jours, mon temps de lecture a largement été entaillé par quelques saumâtres obligations d'ordre « sociétales  et je sens comme un début de manque me crisper le creux de l'épigastre. J'ai tout de même trouvé quelques minutes de libre pour avancer un peu dans le Connaissez vous le cœur des femmes de Pierre Girard. C'est bien la courte « merveille » annoncée. Paterne, le héros, se libère du joug familial. Le voilà presque sautillant et dans la nature. Il boit des grogs, croise des jeunes filles plus ou moins affriolantes avec lesquelles il pourrait commencer quelques débuts d'aventures. Lorsque l'une de ses éventuelles conquêtes lui demande à quoi il peut bien penser en la regardant, il répond d'une voix lugubre : « À des timbres-poste ». Il n'est pas encore vraiment prêt pour l'amour , disons que le chemin est ombreux, mais que la lumière n'est jamais très loin :« Il y a chaque hiver, un matin doré, où l'air n'est qu'un cristal solide, dont les brisures, ça et là, sont toutes pailletées de soleil. On a changé, pendant la nuit, le ciel, ou bien c'est la terre, qui dans son voyage, est arrivée à un endroit de l’éther où il y a du bonheur. Heureux ceux qui, alors, ne peuvent parler qu'à des jeunes filles… »

15 février 2016.- Ciel gris suicide et bise aigrelette, nous voilà bien ! (6°C). Mes mornes activités professionnelles m'ayant laissé dans un état proche de la serpillière rincée, je n'ai rien lu aujourd’hui.  Allez lire lorsque la moindre phrase vous donne l'air hébété du premier non-lecteur qui passe ! Allez lire lorsque votre cogito ne cogite plus du tout ! Écrire est encore pire, les mots ne voltigent plus, ils tombent comme de lourdes pierres, ces quatre lignes en sont la preuve.

16 février 2016.- Ciel globalement nuageux (5°C). Je me suis cogné le tibia au labeur et me voilà avec une belle ecchymose hésitant entre le bleu Klein et le Lapis-lazuli. Tout cela frôle le féerique, on en conviendra. Toujours rien lu, ou presque, deux trois peccadilles, une notice, une recette de cuisine…

18 février 2016.- Lever 6h00. Labeur, sieste, dix pages de Philippe Jaccottet (Encore jeune et critique il évoque Le Préau de Georges Borgeaud, suisse comme lui), une chronique de Vialatte (mort de Jean Paulhan), un poème d'André Velter, une ligne de George Trakl : « Je suis à moitié né, je suis complètement mort »

19 février 2016.- Nuages et trouées bleues (6°C). Retour dans les Pensées de Joseph Joubert, définitives, toujours : « hélas ! Il faut, pour plaire aux peuples corrompus, leur peindre des passions désordonnées comme eux. Ces âmes, à qui leur désordre a rendu les grandes émotions nécessaires, sont avides d’excès, dans leur implacable faim. C’est ainsi que les hommes accoutumés à la crainte de la tempête, à l’espérance du calme, à tous les grands mouvements qu’apportent de longues et périlleuses navigations, ne goûtent plus le repos de la terre, et demandent sans cesse la mer et ses écueils, l’orage et ses horreurs».

20 février 2016.- Nuages, encore… (12°C). La fin de Connaissez mieux le cœur des femmes frôle le conséquent et le lourd-léger. Paterne marche sur un petit chemin sombre qu'il crée lui-même, puis il disparaît comme il était venu : discrètement. Voilà un livre que je n'oublierai pas (le nom de Pierre Girard est d'ores et déjà inscrit en lettres d'or dans mon petit calepin). Retour dans le Journal de Maurice Garçon. Toujours passionnant avec même à y regarder de près quelque chose de littéraire. Terrible portrait de Sacha Guitry « une bien triste putain » que Garçon défend tant bien que mal. Paul Léautaud n'est pas mieux il est simiesque et vit d’ailleurs avec une guenon. Le train-train de la collaboration est bien en place, on persécute les juifs d'une main tout en saluant le Marechal de l'autre. La France occupée est toujours un semblant de pays, les maisons de passe sont toujours là, le sexe y est froid et hygiénique, il faut bien faire passer l'époque.
Par ailleurs entamé D'après Nature, le premier ouvrage publié par Sebald. Trois poèmes en prose (sur Grünewald, Steller et Sebald lui-même). Destruction, violence, souffrance, thèmes hautement sebaldiens, mais pas encore de vraie maîtrise, elle viendra plus


To be continued