mardi 22 décembre 2015

Psychogeographie indoor (64)



« Je ne suis rien. Je ne serai jamais rien. Je ne peux vouloir être rien. A part ça, je porte en moi tous les rêves du monde. » (Fernando Pessoa, Bureau de tabac)

1.

27 août 2015. Tiédeur, du vent (32°C). « On ne dit rien de neuf. On ne pense rien de neuf. Les mêmes conversations reviennent toujours. On sait déjà ce qu'on va répondre. Je me déplais à moi-même en voyant le petit cercle de pensées dans lequel je tourne. C'est de quoi se prendre en guignon, et je conçois qu'on peut former la résolution de ne plus proférer une parole. » (Charles-Joseph de Ligne)

28 août 2015.- Tuante tiédeur d’août (32°C). Les mots ne se détachent plus de moi, ils me tournent à l'intérieur comme tournerait un mauvais vinaigre, pesante situation. Vu un film : Mission Impossible- Rogue Nation. Le scientologue est sautillant, la fille est bien, la scène de l'opéra aussi. Je me suis un peu endormi. Alec Baldwin ressemble un peu au Georges Pompidou finissant (c'est un compliment). Christine Angot et Toni Morrison au menu du Monde des Livres, je me suis encore endormi pour me réveiller un peu devant la chronique de Chevillard qui commence plutôt bien : « Passé 40 ans, l'homme éprouve le besoin de rassurer sa libido inquiète en séduisant des femmes beaucoup plus jeunes que lui, qui pourraient être ses filles, comme on dit, à cette différence près qu'il ne déteste pas les voir mettre un peu de désordre dans leur chambre… »

29 août 2015.- Grande chaleur (35°C). L'été finit mal. On a trucidé une femme à grands coups de couteaux devant l'une des portes de mon labeur. Drame conjugal, un mari jaloux, les histoires d'amour finissent parfois ainsi. Trop accaparé par les tâches ménagères, le jardinage et le sport à la télévision, je lis de moins en moins. Aujourd'hui une cinquantaine de pages de Max Blecher, l'écrivain des chaises cassées empilées en fond de remise, des lampes de poche sous les draps, de la boue suintante entre les doigts. Son « héros », son aventurier de l'irréalité immédiate voudrait en finir, mettre fin à tout, laisser derrière lui un monde trempé et laid où il pleut doucement. Tout cela n'est pas très réjouissant, il faut bien l'avouer.

30 août 2015.- Tiédeur, ciel KB (33°C). Journée molle et indécise : narcolepsie tenace. Fini les Aventures dans l'irréalité immédiate de Max Blecher, belle découverte que j'approfondirais en lisant Cœurs cicatrisés l'autre roman de ce Roumain malaisé : « Seuls les timides on besoin de courage pour accomplir leurs actions, les hommes normaux, les forts, n'ont ni courage ni lâcheté, ils ouvrent les portes simplement, comme ça… »
Entamé les Grandes largeurs de Calet. Ballade parisienne. Fargue et Giraudoux sont morts, Calet est assez désenchanté, il regarde le passé de biais, la tête joliment inclinée la mélancolie monte toujours un peu mieux : « À partir de l'Alma, il semble que l'on accède à une autre ville : les autos sont plus brillantes que chez nous. Les bâtisses sont plus belles, les femmes aussi (on ferait bien une prisonnière) ».

31 août 2015.- Moiteur indécente (34°C). Mon carrelage est sale, le petit personnel s’est suicidé. Je rêve « à la suisse » tout en regardant le plafond. Cet été torride fut lassant comme un feu d'artifice qui s’éternise. Or chacun sait qu'à l’émerveillement succède souvent la lassitude. Je n'ai rien lu aujourd’hui.

1 septembre 2015.- Queue d'orage, baisse sensible des températures (21°C). Lu quelques articles et interviews au débotté, en dehors de Martin Amis (sur Auschwitz) dans le Magazine Litteraire, rien de bien notable.

3 septembre 2015.- Nuages, nuages, nuages… (23°C) Humeur maussade et teintes automnales. On nous aura assommé la conscience toute la journée avec la photographie d'un gamin syrien noyé sur une plage turque. Rien lu, ou presque.

4 septembre 2015.- Ciel changeant (22°C). Retour dans les Grandes largeurs d'Henri Calet. Pittoresque du Paris du premier vingtième siècle, une ville qui n'existe plus vraiment. Malice émerveillée de Calet devant une infime somme de détails tout à fait réjouissants … Demain j'entamerai certainement le livre de Simon Liberati, avec un peu de méfiance, je dois bien l'avouer.

5 septembre 2015.- Temps maussade, fraîcheur (18°C) Eva de Simon Liberati. Quelques facilités d'homme amoureux, mais quelques belles volutes tout de même. Des souvenirs venimeux qui remontent : le Palace, Edwige Belmore, Alain Pacadis ou Yves Adrien. Folklore de la drogue, du sexe plus ou moins déviant, folklore d'une époque qui nous importe assez (la « fracture » 70/80), Littérature aussi : Nerval sans lampadaire, Baudelaire sans albatros, Breton dans le sens de Nadja, fétichisme dandy à tous les étages. Pour l'instant c'est presque un bon livre.

6 septembre 2015.- Nuages et soleillées (22°C). L'enfance d'Eva Ionesco, petite poupée vivante drôle et sublime aux jambes écartées, photographiée puis livrée à de curieux amateurs par un mère artiste par erreur. La drogue, les mœurs des années soixante-dix finissantes, les petites annonces de Libération, Facade et Pacadis, le jeune Louboutin et le punk qui monte en sourdine. Dans sa seconde partie Eva (le livre) devient plus biographique qu'autobiographique, Liberati s'oublie amoureux pour mieux se retrouver avec l'histoire de son sujet. On perd certes un peu en sentiments mais on gagne un peu en information : « …il fallut la libéralité sans lendemain des mœurs des années 1970, les paradoxes anti-œdipiens et fouriéristes du second féminisme, l’expérience du vice acquise à Pigalle quand Irina Ionesco fut danseuse nue au Tabarin, l’influence sadienne de la dernière exposition surréaliste et les avancées techniques des Japonais en matière de boîtier Reflex pour que ce phénomène unique qui eut pour nom Eva se produise et soit célébré. Il fallait aussi le génie d’un être, ou plutôt de deux êtres, car si l’impulsion, le désordre vint d’Irina, il est sûr à mes yeux que l’inspiration venait d’Eva ; vieille inspiration, vieux charme nymphique remontant à l’Antiquité païenne, à Pannychis, à Myrto, à Callirhoé, à Drusilla, dont Toulet dans La Jeune Fille verte et Nabokov dans Lolita ont eu l’intuition et dont Irina Ionesco fut le révélateur, en bonne photographe, c’est-à-dire en bon esprit négatif »

7 septembre 2015.- Du vent, ciel dégagé (22°C). Fini Eva. Assez aimé. Encore quelques doutes sur Liberati mais il a su ne pas trahir son sujet tout en nourrissant mon appétit pour une époque qui m'importe : la fracture 70/80, ma prime jeunesse. (On notera deux trois belles pages sur quelques zones Parisiennes un poil délaissées, Montparnasse et la gare Nord, ces premières périphéries où cheminent pervers, ivrognes et punks à chiens sous le regard « d'improbables gros touristes naïfs »)


2.


11 septembre 2015.- Vague tiédeur humide (25°C). Retour dans les Grandes largeurs de Calet. Aux alentours du Trocadéro règne une atmosphère de fête de vacances. On pourrait se croire dans une station balnéaire, l'air est doux, balsamique comme si cela était possible en un tel lieu. Calet est presque heureux, il sautille. Moins sautillant : Cioran, dans ses cahiers : « Je vis dans la désolation même quand je n'en ai aucun motif : quand j'en ai un, Seigneur ! ». Pour ce qui est de mes futures lectures, je pense entamer un spicilège d'Édouard Launet, journaliste tout autant scientifique que sautillant, habitué des moins mauvaises pages de ce qu'est devenu Libération.

12 septembre 2015.- Pluie continue, baisse des températures (18°C). Les Grandes largeurs. On a démoli le Luna-Park où Calet s’ égayait bien dans son adolescence, c'est regrettable. Pourquoi vouloir ainsi détruire nos souvenirs à coup de pioche ? Les Scenic railways des jeunes années de Calet ne sont plus que du grain, de la poudre… finalement joli livre. Chez Édouard Launet (Viande froide, cornichons), on trépasse de toutes les façons possibles et imaginables : on se jette par les fenêtres, l'homme mûr se suicide à la perceuse, le plus jeune s'électrocute ou s'asphyxie volontairement en plein accès autoérotique. Certains se découpent eux-mêmes à la tronçonneuse d'autres se trucident en se plantant une multitude de petits coups de couteau à même le thorax. Au Texas, pays des hydrocarbures, le taux de suicide par arme à feu est bien élevé. Le Texan dépressif utilise généralement un revolver qu'il pointe sans trembler vers sa propre tempe, plus occasionnellement il utilise un fusil qu'il gobe un peu avant de se tirer une balle dans la bouche : « ceux qui ont essayé de se foutre une balle de fusil dans la tempe comprendront pourquoi. ». Bref, tout cela est horriblement drôle et le livre de Launet est vraiment très bien.

13 septembre 2015.- Nuages et vent (23°C). Viande froide, cornichons de Launet : litanie tragique qui se transforme petit à petit en féerie morose. On se tue beaucoup en ce bas monde et les façons de le faire ne manque pas de croquignolet. Retour dans L’homme qui a vu l'ours de Jean Rolin. Afrique du Sud et communisme, ANC et SCALP, les murs tombent en Europe ils vont bientôt tomber en Afrique australe.

14 septembre 2015.- Fraîcheur et teintes automnales (18°C). Je suis trouble ces temps-ci, très peu clair et manquant de la plus élémentaire limpidité. Pour tout dire me voilà embrouillé, d'une confusion qui oublie ma propre cervelle, comique sans le vouloir, ridicule surtout. Nonobstant j'ai fait l'acquisition de quelques volumes de Pierre Bayard. J'apprécie assez son vrai faux sérieux scientifique au service de bidules et de machins sautillant autour de la chose littéraire.

16 septembre 2015.- Curieuse tiédeur, vent violent (28°C). Mort de Guy Béart, hilarité générale sur les « réseaux sociaux ». Je me fichais un peu de lui, le trouvant très boy scout et feu de camp, mais il ne méritait certainement pas un tel tombereau de ricanements. Commencer chez le moins écrivain des frères Canetti tout en chantant André Hardellet n'est certainement pas donné à tout le monde…

17 septembre 2015.- Restes tempétueux (20°C). Une queue d'ouragan tropicale nous est passée au dessus de la tête : il n'y a plus de saison, il n'y plus de géographie non plus. On me demande quelques titres de films français des années 70/80 du siècle dernier. Je sèche un peu, ma cinéphilie est si lointaine. En me concentrant je me souviens vaguement de Chris Marker et de Sans Soleil, des sautillements de Luc Moullet, de la Chambre verte de Truffaut, de la Sale histoire d'Eustache, du Plein de super de Cavalier. Pour le reste, rien lu ; trop d'humidité, trop de labeur.

18 septembre 2015.- Belles solleilées (20 °C). Cet après-midi j'ai dû subir les assauts sonores de l'une de mes voisines bricoleuse, je ne comprendrais jamais ce besoin non vital qui pousse quelques sombres loustics à vouloir taper, scier et découper à tout va alors imaginez quel peut être mon désarrois lorsque le brouhaha bricoleur se révèle être d'une origine tout à fait féminine, je suis alors prêt de penser qu'il y a là comme comme une forme d'abus, que des puissances obscures m'en veulent. Le bricolage ne devrait être réservé qu'aux seuls hommes; au moins, eux font quelques poses entre deux coups de disqueuse, ce qui n'est pas le cas des femmes, croyez-moi!
C'est donc au milieu d'un abominable brouhaha bricoleur féministe que j'ai tenté d'entamer Vie Rêvée la petite somme diariste de Thadée Klossowski (fils de Balthus qui lui aimait les femmes très jeunes et moyennement bricoleuses). Mal m'en a pris puisque je n'ai pas pu lire plus de trois lignes… J'en suis là, deux boules Quies dans les oreilles, mon casque audio par dessus, le volume sonore dans le rouge j'écoute en boucle Chickenshit du fou furieux gallois John Cale. La vie est rude parfois.

19 septembre 2015.-Temps maussade et frais (17°C). Je lis Vie rêvée le Journal de Thadée Klossowski. Très potin Proust, plus gotha que ghetto, globalement germanopratin. On croise un peu tout le monde : Jacques Chazot et Pierre Bergé, Yves (Saint Laurent) et Andy (Warhol), Loulou (de la Falaise) et les Beatles, des filles bien jeunes et de vieux messieurs… La fin des années 60 et le début des années 70 sont là pas encore les nuits chaudes du Palace qui viendront plus tard. À l'alternat je lis aussi Fêtes sanglantes et mauvais goût de Lester Bangs. Comme d'habitude avec Lester des phrases nauséeuses à l'emporte-pièce, la vie du bonhomme qui passe, de l'émotion surtout.

21 septembre 2015.- Beau temps dans le genre été tardif (23°C). Soucis « d'ordre personnel ». Le Journal du fils Balthus m’ennui terriblement. Je n'y suis pas. Nothing else.

22 septembre 2015.- Temps automnal (17°C). Et voilà que ma voisine bricoleuse remet le couvert. Impossible de lire quoique ce soit dans de telles conditions. Bruit invivable, murs qui vibrent, cogito en berne, je frôle l'hallali.

25 septembre 2015.- Fraicheur matinale, un peu de tiédeur modérée par la suite (9 °C→ 21 °C). Sortant de lourds tracas, que je n'évoquerai pas ici, mon appétence lectorale n'est pas vraiment à son zénith. Cependant lu une petite chose de Roberto Balzen (Trieste), dix-sept pages de bon aloi consacrées au flou triestin agrémentées de quelques belles illustrations. D'autre part, feuilleté les Inrockuptibles que j'ai pour ainsi dire volé. Cette lourde feuille de chou n'est décidément plus faite pour moi, ma barbe n'est pas assez longue, je n'utilise pas de trottinette et je suis globalement allergique au style ampoulé poétoc concerné politique. Également feuilleté le Magazine Littéraire, que j'ai presque aussi volé, couverture abominable : Badiou, Houellebecq, Finkielkraut, Todd, Onfray… Il est question de la « déchirure française », quelle déchirure ?


3.


26 septembre 2015.- Ciel changeant, fraîcheur (16°C). Névralgie cervico-brachiale oblige me voilà bien raide tel un Éric Von Stroheim au rabais. Malgré cela le mauvais goût de Lester Bangs me sied tout à fait, il fait l'éloge de quelques chanteuses middle of the road, raconte Dylan et la mafia (papier très instructif), trouve que les bienheureuses Shaggs ressemblent à trois nones chantantes ayant reniflé de l'essence à briquet, que David Byrne est un gentil fêlé qu'on a bien voulu laissé sortir de la cage à dingue avec une dose de thorazine toute fraîche. Bref nous voilà en territoire sautillant et nous sautillons tout en ne cessant pas d'être étonnés par la capacité de Bangs à théoriser sur tout ce qui lui passe à portée de plume (la moustache de Patti Smith, les crachats de Jello Biafra, le cœur en pleine tachycardie de Wire).

27 septembre 2015.- Beau temps gâché, trop frais (18°C). Cervicales toujours bloquées, de l’électricité dans les épaules me voilà avec des airs mauvais, la bouche en coin. Alone with Lester Bangs, Rolling Stones seventies, déclin de type romain et début du cirque de tout ce barnum qui perdure encore quarante ans plus tard. Miles Davis seventies même combat ou presque… Bangs raconte les deux (Stones et Davis) dans de belles arabesques qui ne se mordent jamais la queue. Le voilà ensuite en plein désert de Mojave, dans la caravane où vit Captain Beefheart (c'est un ami). On parle beaucoup plus de l'oreille découpée de Van Gogh que d'autre chose.

29 septembre 2015.- Ciel bleu, soleil trop bas, infâme saison (19°C) Cervicalgie again. Still with Bangs (Lester). Entamé Notre alpin quotidien, livre d'entretien entre Emmanuel Burdeau, Jean Narboni et Luc Moullet. Les questions un peu Daney amoindri valent ce qu'elles valent, les réponses sont par contre très bien. Il faut dire que Moullet est un magnifique répondeur, nageur, cycliste et tout ce que vous voulez.

1 octobre 2015.- Ciel changeant, matinée trop fraîche (6°C-> 21°C). Dorsalgie ou cervicalgie ? J'hésite encore et je sautille de douleur, il y a de meilleurs moments à passer. De surcroît, mon intérieur prend des airs de grotte humide, pas plus de 18°C, l'automne est là et j'attends mon chauffagiste avec un espoir un peu las… Notre Alpin quotidien, Moullet et les pré alpes du Sud, Moullet et Antonioni (en couleur), Moullet et le vélo, Moullet et la folie… très bien.


2 octobre 2015.- Pluie légère, appétence automnal (18°C). Dorsalgie, toujours. Arnica, Voltaren, Valium, Tramadol et noyaux de cerise chauds, voilà la recette du fameux cocktail Von Stroheim.
Dernières acquisitions : La Mesure de l'amour (Maître Eckhart), Œuvres (Guillaume Dustan), La sagesse du nomade (Bruce Chatwin), Les saisons indisciplinées (Henri Roorda), Cavale (Nathalie Quintane), Je suis parfois cet homme (Stanislas Rodanski). J'entame par Rodanski, Soleil noir, dernier surréaliste, vrai fou et lyonnais comme moi. De lui je préfère d'ores et déjà la prose aux vers : «  Les mots m’ont toujours mené loin dans la vie, trop loin pour que j’y renonce jamais, car je les emploie désormais strictement dans le sens où ils m’échappent, où leur portée cesse d’être consciemment perçue alors que j’écris les yeux dans le vague et que mes regards se coulent dans le devenir ».

3 octobre 2015.- Pluie continuelle, ciel chagrin (15°C). Dorsalgie aiguë, rien pou moi et pas plus d'inspiration que ça. Rodanski, très surréaliste tardif, écriture automatique et chamanisme électrocuté, quelques magnifiques éclairs. Bangs again, Lou Reed et les bisexuels peroxydés, Morrison petite teigne poétoc, Black Sabbath, lente lourdeur plombée plombante. Le tout enrobé par l'habituel halo narcoleptique de l'ami Bangs.

4 octobre 2015.- Lendemain de déluge, humidité stagnante (15°C). Inondations sur la Cote d'azur. Les caniches flottent sur la Promenade des Anglais. Le portier du Negresco est chafouin. Lester Bangs en Jamaïque. Il rencontre Bob Marley sous de gros cumulus canabisés, étonnant dialogue, étonnant rastafarians, étonnant pays. Lester Bangs et les Variations ce groupe pop-rock simili marocain, Lester Bangs et Paris :  « Paris serait une cité super si on pouvait se débarrasser des gens, qui sont l'amas de bonnets de nuit, le plus mort, glacé et pleurnichard que j'aie jamais vu de ma vie en un seul endroit ». D'autre part chez Rodanski : « il neige à la troisième personne du verbe être/ les deux autres sont inconnues… »

6 octobre 2015.- Orages (18°C). Cervicalgie, dorsalgie, Tramadol et cortisone, lire cent quatre-vingts pages de Lester Bangs avec un tel cocktail dans le sang peut laisser quiconque un brin nauséeux. Voilà donc en surcouche du nauséeux sur du nauséeux, du mauvais nauséeux chez moi, du nauséeux en bien chez Bang. Il évoque longuement Sid Vicious et le petit couple sympathique (et nauséeux ?) qu'il formait avec l'assez délurée Nancy Spungen. Rien de vraiment scandaleux, aucune poubelle ouverte et fouillée avec l'esprit retors d'un charognard sous captagon, non une simple et sincère mansuétude, de l’empathie et au-delà du folklore, du cirque punk, et des facilités gonzo, la preuve que Bangs était avant tout un humaniste et peut être un vrai écrivain :  «Je sucerais les brins emmêlés de ton nombril dénoué jusqu'à ce que les sandwiches au thon de mardi dernier sortent en ruisselant de tes tripes saignantes par un trou large comme ta chatte en même temps que des Percodans à demi-digéré et j'avale toute cette gadoue aussi, et ensuite vers le bas vers le bas, avec une obsession monomaniaque parce que j'entends réellement dévorer tes ongles de pieds jusqu'à leur vernis platine Cherie.»

8 octobre 2015.- Météo indistincte (16°C) Still sick. Entamé Comment améliorer les oeuvres ratées de Pierre Bayard . Plus souvent fatiguant qu'amusant je l'ai laissé un peu choir et me suis replié dans un polar de James Lee Burke, Prisonniers du ciel deuxième volume des « aventures » de Dave Robicheaux. Intrigue filandreuse, mais belle description de la Louisiane.

9 octobre 2015.- Beau temps (6°C->18°C). Nuit épique. Cervicalgie oblige réveille à 2h40. À 5h00, alerté par les cris un peu stridents de sa femme impotente j'ai dû porté secours à l'un de mes lointains voisins octogénaire qui avait pris la drôle d'idée de « faire un malaise » tout autant matinal qu’inopiné. Devant l’étendue des dégâts, appel des pompiers, attente des pompiers puis questions des pompiers m'interrogeant sur un quidam que je ne connais pas plus que ça en dehors de six bonjours/bonsoirs par an. Imaginez mon embarras ! Le bougre s'en est sorti, rien de bien grave, et je suis parti me recoucher sur le coup de 6h20 du matin. Évidemment impossible de trouver un semblant de sommeil après tout ça.
Journée maussade. Radiographie du rachis cervical. Ma cervicalgie se révèle être une uncarthrose en c6-c7 avec réduction du calibre du trou de conjugaison correspondant. Allons bon !
Du côté des livres encore dans les Prisonniers du ciel de James Lee Burke. Il utilise le mot nègre toutes les trois pages. Je pense qu'il ne cite pas le grand Charles de Gaulle. En outre, Bayard m’ennuie un peu et Rodanski est plein électricité. Voilà pour le train-train, le petit attelage cahotant de la vie.

10 octobre 2015.- Nuages (16°C) Prisonniers du Ciel de James Lee Burke. Intrigue improbable, style assez lourd, scènes de sexe frôlant le ridicule, mais la Louisiane est là, sa tiédeur fleurie, son bayou qui point, ses poissons et autres bestioles aquatiques qui ne semblent exister que pour mieux finir en beignet dans l’assiette sale d'un quelconque boui-boui tenu par un nègre pittoresque.

11 octobre 2015.- Ciel fluctuant, dans le genre automnal (16°C). Fini le le roman policier de James Lee Burke qui aura eu l'immense avantage de me distraire un peu des névralgies cervico-brachiales qui me tenaillent nuque et bras depuis bientôt 15 jours. Feuilleté le volume de Cahiers de L'Herne consacré à Émile Cioran. Parmi une foule de choses hautement recommandables, un beau témoignage de Louis Nucéra (sceptique cycliste) et une anecdote croquignolette rapportée par Clément Rosset que je recopie ici sans aucun gène : « L’enterrement de Cioran, qui eut lieu au cimetière Montparnasse en 1995, fut peut-être, pour moi qui y assistais un peu de loin, son chef-d’œuvre absolu quoique involontaire. Madame Ionesco avait réussi à convaincre Simone, assez réticente, d’accorder à Cioran les honneurs funèbres prévus par le rite orthodoxe de Roumanie : messe ponctuée par le sermon d’un pope suppliant Dieu de pardonner à Cioran ses abominables écrits, enterrement au cimetière selon les rites stricts de l’Église roumaine qui prévoit, autour de la fosse encore vide, une théorie de bouteilles (remplies du fameux saint-émilion dont j’ai déjà parlé), ainsi qu’un certain gâteau des morts dont tous les assistants devaient manger un morceau arrosé d’un demi verre de vin. Or, avant que le convoi funèbre ne soit parvenu au cimetière, les fossoyeurs, qui avaient remarqué la présence de victuailles déposées au bord de la fosse et les avaient prises pour une sorte de pourboire à eux destiné, en avaient consommé la moitié avant de mettre l’autre moitié à l’abri de leur cabanon, voyant l’assistance qui approchait. Interrogés, les fossoyeurs se contentent de remercier du cadeau, avant qu’on leur explique leur méprise. Des négociations commencent alors à la porte du cabanon, qui butent sur un compromis dont les fossoyeurs en pleine révolte qui, sous l’emprise d’un meneur de choc, considèrent que le reste du butin leur appartient, ne veulent pas en démordre : ils rendront bien, si on l’exige, les bouteilles encore pleines et la moitié du gâteau ; mais cette brimade et ce « manque à gagner » aura pour contrepartie une autre brimade : ils n’enterreront pas Cioran. Grève illimitée du personnel du cimetière de Montparnasse. Un accord fut long à trouver et je pus croire un moment que Cioran, qui en avait tant besoin, serait à jamais privé de repos éternel.»
L'Herne et Émile Cioran derrière moi retour dans le Je suis parfois cet homme de Stanislas Rodanski. Trois lignes, un drôle d'écho de plus : «  Naître ou ne pas être/ N'être que néant ou n'être que né/ Naître point ou n'être point »


To be continued