dimanche 6 septembre 2015

Psychogeographie indoor (61)




« C’est en pleurant que se divertit le Hongrois. » (Radio Budapest)


1.


11 avril 2015.- Nuages, douceur fourbe, deux éclaircies (20 °C). Lu un petit livre de la collection Taschen, Les Gouaches découpées d'Henri Matisse. Acheté pour 7 €80 en sortant du Musée Matisse il ne m'a pas déçu, il faut dire que le Matisse « terminal » a tout pour ne pas me décevoir (cette petite collection Taschen est extrêmement bien faite, je la recommande aux amateurs d'Art sans le sou). Largement entamé West Coast Jazz d’ Alain Tercinet (trouvé chez un bouquiniste évanescent pour moins de 3€). Comme le titre l'indique, il s'agit d'une histoire du jazz West Coast (ce jazz de petits blancs décontractés). Le début laissait entrevoir le pire, une accumulation de noms, l’inquiétude de lire un puriste barbu politique à la mode soixante-dix, ce genre de choses… il n’en est rien le livre est passionnant et Tercinet n'est pas vraiment un puriste égaré sur le parvis d'une quelconque chapelle. Les différents protagonistes sont évoqués avec une belle précision biographique et sans chichi mémoriel, la maturation du son West Coast est, elle, est racontée sans jargon jazzistique et sans plus d’afféterie musicologique que ça.
Rien (ou presque) : Ma chambre qui n'a rien d'un lupanar sybarite ressemble à un musée provincial, c'est déjà ça.

12 avril 2015.- Journée printanière (21 °C). Musée des beaux arts de Lyon puis un tour chez les bouquinistes un peu plus loin sur les quais. Au milieu d'une hétéroclite montagne de livres, déniché trois volumes à mon goût : le Stechlin de Theodor Fontane (pour 2 €), L'hurluberlu ou la philosophie sur un toit de Georges Picard (pour 4 €) une édition des Scènes de la vie future de l'ami Duhamel agrémentée de belles illustrations (pour 5 €). Dans la matinée poursuivi le West Coast Jazz de Tercinet, toujours très bien. Demain labeur, sans entrain.

13 avril 2015.- Soleil voilé, quasi-tiédeur (20°C). Un chapitre du bouquin d'Alain Tercinet, trois pages du Monde littéraire, une demi-page du journal de Stendhal, deux lignes de Cioran, une notice explicative (téléphone Samsung, réglage du volume sonore), les entrées que le Dictionnaire du Jazz de Carles, Clergat et Comolli consacre à Sheila Jordan et Steve Kuhn. Nothing else.

14 avril 2015.- Journée estivale (20°C). Tercinet West Coast Jazz, un chapitre. Quelques lignes de l'ami Ramon (Greguerías), cinq pages du fildefériste roumain Cioran (Cahiers) : « Pour peu que je me porte bien, l’inspiration me quitte, les sujets même me font défaut. Ce n’est pas pour rien que le mot qui m’a le plus marqué est celui de Pascal répondant à sa sœur qui l’invitait à se faire soigner : “C’est que vous ne connaissez pas les inconvénients de la santé et les avantages de la maladie. ” »
Rien (ou presque) : Les chatouillements sont certes épisodiquement plaisants, mais ils peuvent assez vite devenir pénibles, c'est pourquoi il faut leur préférer les simples titillements qui offrent l'avantage d'être plus légers tout en produisant une sensation honnête et agréable.

16 avril 2015.- Trois passages nuageux laissant craindre un début d'orage, deux averses d'une pluie légère et vaporeuse puis sur le retour, un ciel bleu pâle (25°C). Picoré tous azimuts, chez Stendhal, Cioran, Joubert et Renard. Ouvert au hasard un volume des Grands Névropathes par le Docteur Augustin Cabanès. Il y était question d'Hoffmann, si petit et contrefait, que l'on aurait pu le prendre aisément pour un nain.

18 avril 2015.- Temps nuageux, maussade (14°C). Not in the mood, peu de mots pour moi cependant fini le West Coast Jazz d'Alain Tercinet, ouvrage qui mériterait une réédition tant il est fourmillant et plus qu'à son tour intéressant. Il m'a donné l'envie d'écouter deux trois musiciens que je ne connaissais que vaguement ou pas du tout (Robert Graettinger, Pete Rugolo, Richie Kamuca…), il m'a aussi donné l'envie d'en réécouter d'autres ( Chet Baker, Art Pepper, Lee Konitz, Jimmy Giuffre…), c'est déjà ça et c'est vraiment beaucoup.
Acquis un petit livre d'Olivier Barrot (oui l'Olivier Barrot de la télévision) consacré à un sujet et des lieux qui me chatouillent assez (la Mitteleuropa). Je pense que si la météo reste au mal fixe je l'entamerai demain.

19 avril 2015.- Lourde chape nuageuse, averses éparses, demi-fraicheur (14°C). Je ne sais pas si Olivier Barrot est un vrai écrivain, on pourrait aisément le cataloguer « grande presse », cela ne m’empêche pas d'avoir assez apprécié son Mitteleuropea. C'est une suite de souvenirs sur l'Europe de l'ex rideau de fer, un retour vers ses racines maternelles (cette Bessarabie oubliée entre Roumanie, Ukraine et Moldavie) et surtout une déclaration d'amour pour la littérature de ces contrées-là. Ceux qui ont lu Claudio Magris seront en territoire connu (peut être un peu trop), ceux qui ne l'on pas encore lu seront certainement appâtés par le côté digest du bouquin qui donne la belle envie de lire un tas d'écrivains plus conséquents les uns que les autres : Boris Pahor, Elias Canetti, Bruno Schulz, Ferenc Karinthy, László Krasznahorkai… (La dernière partie consacrée à l'Allemagne m'a un peu moins convaincu, même si elle en est l'un des ingrédients constitutifs l'Allemagne m'a toujours paru trop rectiligne et trop peu mélangée pour espérer être vraiment mitteleuropéenne).

21 avril 2015.- Météo splendide quasi estivale (23°C). J'écris ces quelques lignes face au soleil et dans une douce béatitude cuivrée.
Le 13 janvier 1963, le temps n'était pas au beau fixe. Un froid de canard. Quelques passants à l'air anéanti regardaient Emil Cioran chanter à tue-tête des rengaines hongroises. Peut-être le prenaient-ils pour un fou, allez savoir ? Ce froid de canard lui rappelait les hivers de son enfance et le mettait en joie. Il faut dire que Cioran était presque toujours gaie quand tous les autres étaient malheureux ou frileux (j'imagine sans peine que l'inverse était vrai). Paul Morand, qui n'était Roumain que par sa femme, ne chantait guère de rengaines hongroises à tue-tête ; il était bien trop distingué pour le faire. Cependant, il était heureux de vivre même s'il n'aurait pas aimé vivre une autre fois. Jonathan Swift, que l'on imagine bon vivant, était quant à lui un grand misanthrope, il suffit d'ouvrir les Voyages de Gulliver au hasard pour tomber sur de belles vaguelettes de bile recuite. Reste à savoir s'il chantait des rengaines hongroises à tue-tête ; j'ai des doutes. Pour le reste courte promenade dans les Lettrines de Julien Gracq (volume 2), peu de misanthropie, pas de rengaines Hongroises, mais un Paris obsolète, mordoré, un Paris qui n'existe plus.

23 avril 2015.- Météo estivale (25°C). Le labeur derrière moi j'ai planté quelques fleurs puis je me suis endormi face au soleil. Il est bien plus gros que moi et ses diffus effets pervers me rendront certainement plus hâlé que pâlot. Réveillé par le passage d'un gros bourdon pollinisateur j'ai ensuite lu quelques pages du Docteur Cabanes consacrées à Fiodor Dostoïevski, ce grand névropathe, cet épileptique gratiné : «  Sans prendre au sens rigoureux cette assertion d’un des critiques à qui nous devons la révélation et la pénétration, jusque dans ses plus intimes replis, de l’âme slave, il n’est pas possible de méconnaître l’intérêt évident que portait le romancier russe aux déséquilibrés, à tous ceux qui présentent des troubles cérébraux nous permettant de les classer dans la catégorie des fous ou des demi-fous. Un statisticien qui a occupé ses loisirs à dénombrer les aliénés dans l’œuvre de Dostoïevsky n’en a pas compté moins de trente-quatre : ce qui ferait environ un tiers du total des personnages qu’il a mis en scène … »
Il va falloir que je vous laisse, un rossignol gringotte sur ma droite et un coq chante au loin. Mes plantes et fleurs déjà assoiffées réclament un peu d'eau. L’été est là. Certainement trop tôt.

24 avril 2015.- Toujours ce temps estival (qui ne durera pas, rien n'est immuable, tout bouge) (25°C). Retour du labeur. Soulevant téléviseurs et réfrigérateurs une grande partie de mes journées je me retrouve avec l’intellect décanté d'un déménageur prolixe. Malgré cela et bien que très éloigné des philosophes germanopratins je lis de temps à autre Le Monde littéraire. Aujourd'hui il m'est tumultuairement tombé des mains. Chevillard dans son « feuilleton » y parlait de Régine Detambel écrivain (je déteste écrivaine) et kinésithérapeute, il y avait un papier sur le génocide arménien qui ne m'a absolument rien appris (c'est un problème, j'aime apprendre) et deux trois autres broutilles sur les sorties littéraires de la semaine. Demain j'entamerai le Journal de Jean Patrick Manchette, je le regarde de biais depuis un certain temps déjà et je pense que son heure vient de sonner.
Rien (ou presque) : L'Ecclésiastique dépenaillé s’est ébouillanté. Un ange passe.



2.




25 avril 2015.- Averses incessantes, chute vertigineuse de la température extérieure (15°C). Manchette, diary , passionnant malgré quelques rares, mais longues, tartines structuralistes égarées. Sécheresse, grande sécheresse (le fameux béhaviorisme de Manchette appliqué ici à sa propre intimité), refus des sentiments (nous voilà à l'abri du sentimentalisme), quelques notes de blanchisserie, une douleur dentaire persistante, des livres lus, des films vus, l'agrégat du quotidien, quelque chose d'un peu triste, d'un peu nauséeux (un litre de bière par jour, des cigarettes en quantité astronomique), le labeur (quelques panouilles alimentaires dans le « monde » du cinéma, une « œuvre » en amorce), le manque d'argent (une obsession), l'argent qui vient, la vie de couple, un enfant que l'on aime forcement, le Monde qui est là et qui avance (Mai 68 en un demi-paragraphe), la politique, la grande présence de la politique (tendance situ) et puis les vacheries et l'humour, un peu quand même :« Il faut m'astreindre à n'écrire ici que lorsque je suis de bonne humeur, et surtout pas quand je me crois malheureux, le chagrin rend stupide. Il ne faut pas écrire de stupidités ».

26 avril 2015.- Ciel changeant, quelques belles solleillées (21°C). Tour chez les bouquinistes, rentré bredouille, ou presque, un volume de Chesterton (Le monde comme il ne va pas) un autre ressemblant les plus belles pensées de Jean Carmet (Je suis le badaud de moi-même). Dans l'élan acheté trois-quatre plantes vivaces que je planterais plus tard, acheté une Thé noir vert japonais au patronyme un peu inquiétant (Printemps à Kyoto) poursuivi la lecture du Journal de Jean Patrick Manchette, toujours très à mon goût. Une belle idée ces collages d'articles découpés un peu partout (Elle, Monde, Figaro, Nouvel Observateur…) qui donnent à cette somme diariste un petit côté situ et flaubertien (situ pour le découpage, flaubertien pour la sottise rassemblée). Toujours cette belle sécheresse, une sécheresse revitalisante : «  Melissa qui a récemment feuilleté ce cahier, trouve que j'y suis glacial, notamment à son propos. C'est parce que c'est une liste d'événements, je crois. En tant que journalintim, c’est plutôt moribond. Question : qu'est-ce que je cache ? Réponse : les demi-pesées, les trucs sans conclusion, ou plutôt, les conclusions forcées, qu'on ferait parce qu'on serait là, avec l'intention d'écrire, et qu'il faudrait écrire des choses conclusives. Les choses conclusives, c'est que Pompidou a été élu hier président de la République, ou que Tristan a perdu une dent, ou que j'ai une petite brûlure au doigt, ou qu'il a plu entre 15 h 40 et 15 h 50. Mais le sens des mouvements de l'âme, on ne sait pas ce que c'est. »

27 avril 2015.- Bourrasques et crachin, tentation orageuse (17°C). Travaillé nuitamment, passé la journée dans un état de catalepsie avancé, rien lu (ou presque), rien n’écrit (ou presque), rien vécu (ou presque).

28 avril 2015.- Nuages épars (19°C). Cervicalgie, gonalgie, lombalgie. Rien lu.

30 avril 2015.- Ciel changeant, de l'humidité en amorce, un peu d’inquiétude (20°C). Manchette, Journal… Manchette est plutôt heureux (presque parfois jubilant), il aime sa femme, son fils, bois plus de 7 litres de bière par Week End, se réveille un brin nauséeux, vois un nombre incalculable de films (quasiment que des bons et à la télévision, heureuse époque), lit beaucoup (Robinson Crusoé, ce désopilant bréviaire de l'individualisme manufacturé) écrit encore plus. Pendant ce temps là le monde continue d'avancer : queue de comète de Mai 68, agitation sociale et politique un peu partout. Gabrielle Russier se suicide au gaz, Sharon Tate est assassinée, le franc est dévalué. Manchette découpe puis colle quelques articles à même les pages de son journal, et comme je le présentais il y a deux, trois jours, le but de la manœuvre est bien flauberto-situationiste :« Pendant une période, j'ai découvert le crétinisme quotidien des mass média, et j'ai découpé et collé, avec une jubilation amère de type flaubertien. Cela correspondait à ma découverte plus générale du crétinisme plus général ; et à une délectation cynique, assortie d'une consommation et d'une approbation primitive, immédiate, non dialectique des textes de l'I.S. »

1 mai 2015.- Crachin continuel, humidité patibulaire (15°C). 1er mai pluvieux, comme tous les premier mai depuis environ 10 ans, cela ne facilite pas les monômes et les vendeurs de muguets sont chafouins aux coins des rues. Acquis tout de même quelques brins par la bande… Retour dans le Journal de Manchette. Le 14 Mars 1970 émeute violente à Amsterdam à propos de l'ouverture nocturne d'un grand magasin. Aujourd'hui les grands magasins sont fermés tardivement et on s'offusque presque qu'ils soient fermés les 1er mai et les dimanches. Grande reculade, la doxa libérale domine. En décembre 1969 Manchette se laisse pousser la moustache, il lit deux ou trois livres par jour, voit trois-quatre films, écrit plus d'une cinquantaine de pages alimentaires. On se demande où il prend le temps, on a presque des doutes. Il s'achète un magnétophone Radiola, un machine à écrire Hermes 3000, un disque d'Archie Shepp, un pantalon de velours et un pull bleu marine. L'argent rentre, l'argent sort et la bière coule plus que de raison.

2 mai 2015.- Ciel fluctuant (20 °C). Manchette est une usine à écrire à lui tout seul, il faut bien manger, acheter une 4L flambant neuve, vivre un peu bourgeoisement sans vraiment se l'avouer. Il y a tous ces films « merdeux » vus, tous ces livres lus (polar, SF, livres théoriques, philosophiques, politiques, peu de roman-roman), les rapports humains (mais pas trop), l'amour qui est bien plus important… Il y a aussi le monde et le mauvais esprit qu'il faut avoir face à lui, c'est une arme : « Un dignitaire de l’Église de France s'est tué en tombant d'une falaise. Un autre avait disparu en montagne, mais il a malheureusement été retrouvé vivant ». Nothing else.

3 mai 2015.- Chape nuageuse, moiteur, trois éclaircies tardives (23°C). Hier soir vie sociale, trop de vin, de bière, encore vaporeux. En trois jours lu 500 pages du Journal de Manchette, il est lui aussi souvent vaporeux, assez enbièré, assommé par les convenances de la vie en société (son agoraphobie en amorce?). Drôle de constat : s'il est un incontestable ultra gauchiste, il resserve ses meilleures flèches pour son propre camp, la gauche amollie, les canailles staliniennes de la CGT et du PCF, les maoïstes abrutis, les très nigauds Geismar et Cohn Bendit, seuls Vaneigem, Debord et l'IS sont presque épargnés, quant au vrai ennemi la Droite, elle ne mérite pas d'être citée en dehors du factuel. S'agissant du Cinéma Manchette dézingue admirablement Kubrick et Orange Mécanique :  « …Il ne comprend rien à la société spectaculaire-marchande, et donc, il ne comprend rien à la violence, et son film est niais. C'est d'autant plus déprimant que les talents de kubrick, en tant que producer décorateur illustrateur, sont toujours là. Caméra, direction d'acteurs, cadre, couleur, cet homme a des idées sur tout sauf l'essentiel ».
Fini la journée par quelques Greguerias de l'ami Ramon, dont celle-ci « Le torticolis du pendu est incurable… »

5 mai 2015.- Curieuse moiteur mékongaise (21°C) Manchette, diary, again. Le samedi 23 septembre 1972, Manchette « chope une saloperie de putain de rhume genre rhino-pharyngite », ses idées ne sont pas très claires. Il envisage de travailler plus sérieusement pour le Cinéma. Nothing else.
Rien (ou presque) : Le résigné est le plus souvent volontaire qu'obligé, son abdication est donc une belle preuve de liberté.

7 mai 2015.- Météo hésitante, quelques éclaircies, une vague tiédeur (18°C). Toujours dans le Journal de Manchette que je finirais certainement dans les deux jours qui suivent, il me reste une centaine de pages à lire et je ne serais pas accaparé par les mornes occupations du labeur faiblement rémunéré. Pour l'instant Manchette tournicote toujours dans le milieu du Cinéma, il travaille avec Jean Pierre Mocky (brusque et obtus), rencontre Claude Chabrol, Yves Boisset et Claude Berri, dîne chez Bernadette Lafont (une chic fille), il écrit beaucoup, en stakhanoviste, vois toujours autant de films, des magnifiques, des « merdeux »…
Rien (ou presque) : Ne cherchez plus la bosse perdue du dromadaire, elle s'est fourvoyée sur le garrot du zébu.

8 mai 2005.- L'orage guette, l'orage est là (18°C). Vie sociale, trop de bon vin, confis et laborieux. Still in Manchette diary.

9 mai 2015.- Matinée nuageuse puis un soleil de plus en plus présent au fil de la journée (21°C). Manchette diary, j’ai fini le premier volume, j'imagine qu'il y en aura d'autres et en tous les cas je l’espère diablement. Je pense avoir établi une belle intimité avec Manchette et je ne voudrais pas que cette belle intimité en reste là. Entamé le 8e épisode des « aventures » de Kurt Wallander, le flic récurant d'Henning Mankell (La muraille invisible). Des adolescentes meurtrières, des coups de marteau, des coups de couteau et une Scanie automnale déjà un peu froide.



3.




10 mai 2015.- Journée magnifique, estivale (26°C). Vie sociale. Psychogéographie en bords de Saône, quelques quais inondés, quelques chemins embourbés. Sur le retour, détour par les bouquinistes, trop peu concentré pour vraiment picorer judicieusement. Cependant, acquis le Retour d'URSS de Gide pour deux euros. Plus tôt dans la matinée, trois chapitres du bouquin d'Henning Mankell entamé hier, polareux, nordique et distrayant.

11 mai 2015.- Soleil voilé, tiédeur asiate (29 °C). Mankell, Wallender, sur le lutrin. Retour dans les Cahiers de Cioran, sceptique, toujours.
Rien (ou presque) : Jeune Alfred Tennyson était déjà désabusé, comme fatigué de la vie avant même de l'avoir vécue. Des accès de mélancolie le prenaient en plein bal, il se figeait alors dans une fière attitude de neurasthénique, une froideur hors de saison, comme une neige en été, une mauvaise humeur qui partait comme une fusée : « Je me souviens que quelques fois, au milieu d'une danse, une grande et soudaine tristesse m'accablait : alors, je quittais la danse et allais errer loin sous les étoiles, ou bien, je m'asseyais au pied des escaliers, l’esprit assombri et distrait ».

12 mai 2015.- Quelques bouffées d'un vent indubitablement saharien, tiédeur hors de saison, tentation caniculaire(31°C). Longue sieste tout juste dérangée par quelques oiseaux gazouillants. Ma lecture de la Muraille invisible du scandinave Mankell va bon train. Encore un peu dans les Cahiers du quasi carpatien Cioran que j’ouvre au hasard, le hasard fait bien les choses : « Je suis distinct de mes sensations. Comment? »
Rien (ou presque) : Je disserte gravement sur la dignité tout en regardant mon reflet dans un miroir que l'on me tend opportunément. Il faut savoir garder une belle et solennelle componction pour les grandes occasions.

13 mai 2015.- Journée chaude et estivale, cela ne va pas durer, la météorologie nationale annonce une chute vertigineuse des températures, un débours de 15°C, ce qui n'est pas peu (31°C). Retour des « travaux forcés », trop de fatigue cumulée (mon labeur est physique), impossible de lire quoi que ce soit d'un peu conséquent. Restent un chaise longue, un peu de soleil et quelques boissons fermentées pour me consoler.

14 mai 2015.- Des bourrasques, quelques gouttes, une température en baisse (21°C) Mankell, again. Revu un film : Harper détective privé, toujours diablement mid-sixties, jazzy et west-coast tout en restant heureusement embrouillé comme pourrait l'être un Grand Sommeil en couleur... et puis Paul Newman et ses chewing-gums, le type le plus cool du monde.

15 mai 2015.- Fini La Muraille Invisible de Mankell. Pas mauvais, assez bien fichu pour tout dire. L’intrigue tourne autour des hackers, des cracks boursiers, des sectes vaguement écologistes, ce genre de choses.
Malgré une petite forme (lombalgie, cervicalgie, estomac quasi ulcéré), je fais mes valises. Demain départ pour les Cyclades.

25 mai 2015.-Belle matinée ensoleillée, après midi embarrassé par d'inquiétantes avancées nuageuses (21°C). Retour des Cyclades. Beau voyage. Quelques scories, trop de flux touristiques, des Chinois vitupérant (heureusement contrebalancés par quelques jolies Japonaises accrochées à leurs « perches à selfies »), des petits vieux se déplaçant en grappes très lentes sous le soleil de la Mer Égée, mais des lieux, des paysages magnifiques : Delos, Mykonos (un peu), la Caldeira de Santorin (surtout) et une population grecque toujours admirable pour sa science du tohu-bohu, de l'inorganisation et de l'anarchie à la petite semaine.
Entamé le Retour de l'URSS de Gide. Tout d'abord enthousiasmé par la force des réalisations, la vigueur de la jeunesse soviétique et les joies du komsomol, Gide déchante assez vite, tout pourrait bien être morose, on lui cache des choses, le kolkhozien entraîne des impressions bizarres et attristantes et la ligne du parti assomme un peu tout le monde : « Le bonheur de tous ne s’abstient qu'en désindividualisant chacun. Le bonheur ne s'obtient qu'aux dépens de chacun. Pour être heureux, soyez conforme ».

26 mai 2015.- Ciel de traîne assez fourbe (15°C). Retour du labeur, guère d'entrain, plus de chauffage, quasi-froideur de l'indoor. Gide et l'URSS, l'esprit petit-bourgeois domine, on s'éloigne du léninisme, les homosexuels sont déportés, Staline vénéré, tout n'est pas pour le mieux. Deux trois gréguerias de l'ami Ramón, celle-ci très bien : « Il faisait un tel esclandre avec sa calvitie que tout le monde savait qu'il était là ».
Rien (ou presque) : Les civilisations n'étant que de larges et lourdes plaques glissant les unes sous les autres, il ne nous reste plus qu'à trembler.

28 mai 2015.- Sun returns (25°C). Acquis le Zibaldone de Léopardi (par des moyens numériques et semi-légaux, le volume papier chez Allia est beaucoup trop coûteux et mes revenus sont modestes). Histoire de tester la température de son eau, je jetterai bientôt un œil dans cet océan de lecture (3000 pages)… En n’attendant pas grand-chose, cette fin de semaine je pense lire le nouveau livre du très productif Jean Rolin (Savannah), on m'en dit beaucoup de bien.
Rien (ou presque) : Il y a des apathies majestueuses, des renoncements courageux ; une façon de ne plus « faire » avec le monde qui confine à sa saine et juste appréciation.

29 mai 2015.- Nuages épars, tiédeur (27 °C). L'été est presque là. Sieste prolongée en zone ombragée. Fini le Retour d'URSS de Gide. Pas grand-chose à en dire, l'objet est plus historique que littéraire et je dois avouer avoir piqué du nez plus d'une fois en le lisant. Pour le reste arrosé plantes et fleurs, rentré les poubelles et regardé un chat noir replet qui baguenaudait sur les des toits en face de moi ; heureuse bestiole…



To be continued