lundi 18 mai 2015

Chambre Verte - Ian Curtis



Météo idéale, ciel céruléen, température parfaite, je me suis égaré en pleine Mer Égée quelque part entre les îles de Naxos et Santorin et c'est ici qu'il me faut «commémorer» la mort de Ian Curtis le 18 mai, 1980 il y a déjà 35 ans (3 Decades and five years). Écouter une nouvelle fois la seconde face de Closer dans une telle atmosphère me paraissant un tantinet antinomique je me suis contenté de réécouter deux titres jamaïcains qui auront quoiqu'on en pense diablement influencé Ian Curtis. Le premier titre Turn The Heater On est une merveille de Keith Hudson un Reggae frigorifié qui se réchauffe à petit feu (quoi de plus normal pour celui que l’on surnommait The Dark Prince of Reggae), le second titre est un extrait d' East of the River Nile le plus beau disque du très grand Augustus Pablo, une ode à l’empereur Hailé Sélassié (Jah me tambourine!) dont l'air pourrait résonner à deux trois mélodicas près comme une chose fermée de la division de la joie. Je me contenterai de ces deux bricoles-là, cela me semble un bel hommage. Pour le reste la bande passante venant à manquer, je vais vous quitter, mais sachez que les souvenirs sont là.  

jeudi 14 mai 2015

Psychogeographie indoor (58)




« Il faut m'astreindre à n'écrire ici que lorsque je suis de bonne humeur, et surtout pas quand je me crois malheureux. Le chagrin rend stupide. Il ne faut pas écrire de stupidités. » (Jean-Patrick Manchette, Journal)

1.

30 novembre 2014.- Grisaille et froideur (5°C). Tabac froid, sexe sinistre, transpiration, intérieurs moisis La voiture de pompier disparue est une vraie féerie morose. La Suède de la fin des années soixante n'a vraiment rien pour elle et l'on sent bien que le couple Sjöwall /Wahlöö pousse un peu le bouchon du lugubre pour mieux dénoncer une sociale démocratie frôlant d'ores et déjà l'échec. Rien d'autre (något annat)

1 décembre 2014.- Ciel gris-bleu, froideur (2°C). Rien lu ou presque (un poème soucieux de Trakl). Guère d'humeur. Je regarde mes contemporains sans grande mansuétude. Je les préférerai débonnaires et impavides, alors qu'ils sont, pour l'essentiel, faux et onctueux, avec cette curieuse habitude de vouloir prostituer leur « âme » à de bien bas intérêts. (BO / Flipper - Sacrifice)

2 décembre 2014.- Crachin, neige ratée. Du froid (3°C). J'envie grandement la transparence de certains hommes invisibles. Fluide et imperceptible voilà vers quoi je devrais tendre. En attendant, je fais un court détour par le Livre de l'intranquilité de l'impalpable Pessoa : « Je trouve de moins en moins de goût à tout, et même de ne trouver de goût à rien ». Algo mais.

5 décembre 2015.- Brume et nuages (6°C). Notre âge avançant, nous vacillons et déposons toute ambition à même le sol. Puis, avec une pointe de nostalgie taciturne, nous commémorons les temps anciens, notre jeunesse, nos aspirations.
Quelques strips de l'ami Schulz avec ce bon vieux Charlie Brown. Un chapitre du couple Sjöwall et Wahlöö, rempli de policiers tout autant bedonnants que scandinaves.

6 décembre 2014.- Pluie fine, Froideur (4°C). Impossible de lire plus de trois lignes sans tomber dans un profond coma lectoral. C'est donc dans un état semi-végétatif que j'ai tenté de finir la lecture de la Voiture de pompier disparue. Je ne suis, évidemment, pas parvenu à mes fins. Le livre lu n'en étant en rien responsable : « Se réveiller, c'est se rendre compte qu'il y a toujours déjà quelque chose qui était là, le lit, la maison, le temps qu'il fait…et il y a des gens toujours anxieux au réveil parce qu'ils ont plus ou moins conscience d'être dépassés, chaque fois dépassés un peu plus par ce qu'il leur arrive au réveil, - toute leur vie qui s'alourdit. » (Henri Thomas, Le Promontoire.)

7 décembre 2014.- Ciel morose, morne plaine (7°C). D'aucuns me trouveront un tantinet snob, mais je dois avouer un certain goût pour la littérature hongroise et le post-punk japonais. En attendant de lire le Cinéma muet avec battements de cœur de Dezső Kosztolányi sur fond de Phex (le premier album de 1980, un parangon post-punk nippon) j'ai fini la lecture de la Voiture de pompier disparue (presque rien d'Hongrois). C'est à coup sûr le moins bon épisode du Roman d'un crime. Le couple Sjöwall et Wahlöö y tire un peu trop la ligne du filandreux. Pour le reste encore chez Joë Bousquet, des blocs de littérature, des vrais. Quelques pages de Pessoa, formidable as usual: « Tout se réduit en somme à essayer d'éprouver de l'ennui sans en souffrir ».

8 décembre 2014.- Météo de saison, comme l'ont dit (7°C). L’élégance lustrée des petits maîtres, dandys et autres gandins. Leur imperméabilité aux lourdeurs du temps ; leur légèreté sautillante.
Loin du sautillant, court détour dans le Bréviaire du chaos d'Albert Caraco. Je l'ai bien vite laissé choir, trop déprimant, rien de chic, rien pour lui.

11 décembre 2014.- Pluie légère (8°C). Il faudrait que nous sachions nous débarbouiller de toute crasse ontologique tout en oubliant les écailles picotantes du « pourquoi sommes nous là ». Propres et comme desquamés nous aurions alors tout loisir de vivre avec la légèreté bonhomme de ceux qui ignorent presque tout sur tout. Nothing else. (BO/ Week End, Red planes).

12 décembre 2014.- Nuages. (9°C) Face à la subreptice lassitude qui pourrait nous nouer au débotté je ne vois qu'un seul remède valable : un relâchement, butinant et giron, souverainement assumé.
Quelques pages d'un Pessoa assez las et noué, il faut bien le dire.
Dans ma lointaine jeunesse, il m'est arrivé de « faire les vendanges » en la compagnie d'un rasta blanc et d'un sosie quasi parfait de Michael Jackson. Le rasta blanc fumait sans cesse de la drogue et zigzaguait entre les rangs de vignes tandis que le sosie de Michael Jackson effectuait des moonwalks un brin embourbés. Il y avait aussi un sympathique petit vieux édenté qui faisait le tour de France à vélo tout en ramassant noix, pommes et raisins. De nous quatre c'était certainement le plus « équilibré ».

13 décembre 2014.- Du vent (12°C). La plupart des artistes, musiciens, écrivains, philosophes qui ont donné un petit goût charpenté à l'humanité seraient certainement aujourd’hui diagnostiqués comme « bipolaires ». On les « traiterait » chimiquement afin de leur apporter un semblant de « vie normale », tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes possible. Dans cette belle armée de toqués potentiels, il y aurait certainement un Pessoa semi-ravi, avec un drôle de chapeau et une petite vie régulée par le Lithium.
En attendant, je finis de relire Le livre de l'intranquilité de l'autre Pessoa, celui des temps anciens, des temps non « régulés ». Un massif tellement incontournable qu'il me faut laisser parler l'auteur lui-même , il se suffit amplement  : «  Ce vieux sans intérêt aux guêtres sales, que je croisais souvent, à neuf heures et demie du matin ? Ce vendeur de billets de loterie, qui boitait et qui m’importunait en vain ? Ce petit vieillard, rougeaud et grassouillet, qui fumait son cigare à la porte du tabac ? Et le patron du tabac, toujours si pâle ? Que sont-ils devenus, eux que j’ai vus et revus si souvent, et qui sont ainsi devenus une partie de ma vie ? Demain, c’est moi qui disparaîtrai de la Rua da Prata, de la Rua dos Douradores, de la Rua dos Fanqueiros. C’est moi, demain —cette âme qui sent et qui pense, tout cet univers que je suis pour moi-même — oui, demain c’est moi qui aurai cessé de passer dans ces rues, c’est moi que les autres évoqueront d’un vague « qu’est-il devenu ? » Et tout ce que je fais, tout ce que j’éprouve et tout ce que je vis, se réduira à un passant de moins, dans la quotidienneté des rues d’une ville quelconque. »
Sachant qu’hétéronymement parlant Le livre de l'intranquilité est l’œuvre de Bernardo Soares je me demande qui de lui ou Pessoa était le plus toqué des deux.


2.



14 décembre 2014.- Des nuages, plus de douceur (14°C). Pessoa et son intranquillité derrière moi j'ai longuement hésité entre La Vraie Vie de Sebastian Knight de Nabokov et le Ça va, Jeeves ? de P.G. Wodehouse. J'ai finalement choisi le second et je ne suis pas déçu puisqu'il est, comme de bien entendu, délicieux. Je lirai le Nabokov plus tard, il m'inspire beaucoup, c'est son premier roman en langue anglaise, et il est paraît-il rempli d'une multitude de chausse-trappes sautillantes. (BO / Acetone - If You Only Knew).

15 décembre 2014.- Nuages charbonneux accrochés dans une atmosphère bien morose. Douceur relative (12°C) Grosse fatigue : le labeur. Rien lu : le manque guette. Je rêvasse dans le vide puis je déambule autour d'un rien massif ; le temps passe, ma vie avec.

16 décembre 2014.- Vent modéré de Nord. (9°C) L’inobservable, l’innommable, l'injustifiable. Les yeux, la parole, la morale.
J'attaque modérément La véritable origine des plus beaux aphorismes, courte somme compilatoire de Dominique Noguez. Le préambule est très bien : «  les citations sont utiles dans les périodes d'ignorance et de croyances obscurantistes » (Guy Debord, Panégyrique)

18 décembre 2014.- Brume et ondées. (11°C) Funambulesque déconfiture : ruine de l'âme, faillite du cogito. Acquisitions récentes : Nouvelles esquisses viennoises de Peter Altenberg (télégraphiste de l'âme), Alouette et Drame au vestiaire de Deszo Kosztolanyi (hongrois conséquent), Maisons du soir d'Eduard von Keyserling (germano-balte à nul autre second), Ernesto d’ Umberto Saba (Triestin mélancolique), Le Désordre Azerty d'Éric Chevillard (sautillant tricolore)…

19 décembre 2014.-Léger brouillard (10°C). Me complaisant insidieusement dans divers marasmes, j'ai décidé de les oublier en voletant par dessus. Grand bénéfice me voilà avec des airs quasi ravis d'idiot du village. Quelques pages du spicilège de Dominique Noguez, aphorismes, maximes, préceptes à gogo. (BO / Steely Dan – Aja).

21 décembre 2014.- Quelques éclaircies matinales, ciel plus encombré par la suite (8°C). Je me pique de mots avant que l'on ne me les pique.
Vie sociale. Un peu d'alcool. Encore vaguement embrumé. Toujours chez Pelham Grenville Wodehouse que je lis avec la belle impassibilité d'un élan empaillé. Intrigue sentimentalo-emberlificotée, humour à tous les étages.

22 décembre 2014.- Beau temps froid (5°C). Empruntant d'un humble faux pas un sentier plus bucolique que scientifique moi et mes multiples hésitations sommes tombés sur une vérité quasi palpable. Tâtonner c'est parfois trouver.
Pour certains anciens les hommes provenaient du testicule droit tandis que les femmes provenaient du testicule gauche. Les plus malins d'entre eux se ligaturaient donc le testicule gauche afin de s'assurer une descendance mâle. L'exercice était certes un tantinet douloureux, mais il était hautement profitable.

23 décembre 2014.- Brume matinale, soleil par la suite (8°C).

Telle une outarde étêtée, je tournille sans but.

Les sanglants exercices cynégétiques sont souvent moins périlleux qu'une innocente cueillette cyanhydrique.

Contrairement à l'homme, le vers luisant produit encore une faible lumière un jour après son trépas.

26 décembre 2014.- Beau temps froid.(4°C) Vaporeuse journée post agapes. 
J’aurais tant aimé vivre sans corps, être une abstraction flottante, un pur esprit ou quelque chose d'approchant.
La vie n'étant qu’une longue suite de galimatias inintelligibles dont l’issue est le plus souvent tragique puisque TOUJOURS fatale on comprend mieux l’air contrit du petit bonhomme attendant l’autobus nº 23 sous un chêne centenaire.

27 décembre 2014.- Pluie glacée, neige ratée (4°C). Toujours plongé dans les histoires sentimentalo sautillantes de l'ami Wodehouse (P.G. est un ami). Métaphores loufoques, burlesque trébuchant… bonheur.

28 décembre 2014.- Repos. Vent et flocons.(0°C) Un film.Vu Gone Girl de Fincher. Pas mal. Intrigue « galimatieuse », mais belle maîtrise un tantinet impudente. Ben Affleck très bien en bœuf estourbi. Fini le Ça va, Jeeves ? de P.G. Wodehouse. Pour rester dans un ton globalement insulaire et essentiellement britannique rouvert la Pseudodoxia Epidemica . Toujours très amphigourique, mais drôle, Thomas Browne y évoque les interdits alimentaires chez les anciens. Il nous rappelle qu'outre le pourceau chez les juifs on ne mangeait ni lapin, ni chat-huant, que les Syriens évitaient le poisson et les colombes, que les Égyptiens se gardaient bien de consommer chiens, anguilles et crocodiles. Pendant ce temps-là le ventre de porc et l’utérus de truie faisaient les délices des palais romains.
Fini ma journée en entamant les Nouvelles esquisses viennoises de Peter Altenberg. Beau commencement : « Je voudrais représenter un être humain en une phrase, un événement de l'âme en une page, un paysage en un mot ! Tu épaules artiste, tu vises et fais mouche ! ».

29 décembre 2014.- RIEN

30 décembre 2014.- Froideur (2°C). Vadrouillé dans la Culture de l’égoïsme, dialogue savant entre Christopher Lasch et Cornelius Castoriadis. D'autre part tombé par hasard sur ces quelques lignes sautillantes de Paul Jean Toulet :  « Et puis au fond ce qu’il y a de plus pittoresque dans toutes ces exhibitions de Paris, c’est le dos des Parisiennes qui font semblant d’y regarder. Vous voyez d’abord une longue redingote kaki, chaudron ou prune-de-Monsieur ; là-dessous une jupe si étroite à la fois et si flottante que l’on se demande avec surprise si ces dames n’ont pas laissé au vestiaire ceux des avantages naturels que leur petite âme idéaliste jugeait sans doute trop chargés de matière ; et là-dessus enfin, couvrant la nuque comme un casque de condottiere, grand comme une coupole, rond comme un fromage, profond comme une cloche de plongeur et natté d’herbes de couleur comme un paillasson, le déconcertant, le gigantesque, l’absurde, le délicieux chapeau moderne. » (La Vie Parisienne).

3 janvier 2015.- Ciel gris-bleu, vent aigrelet. (7°C) « La grâce du geste oblige à une grâce et une pureté intérieure ! La grâce et la pureté intérieure provoquent à leur tour la grâce du geste ! »
Lu quelques Esquisses viennoises de Peter Altenberg. Rien de décisif, mais du charme. Des petites filles qui semblent s'être échappées de chez Valery Larbaud, de la délicatesse, de la désuétude austro-hongroise, du suranné en bord de Danube, ce genre de choses.
D'autre part, entamé un choix de Gréguéria par leur inventeur Ramón Gómez de la Serna (Cent pages, petit éditeur, belle maquette, beau boulot). La préface est de Valery Larbaud (encore lui).
En parlant de Larbaud demain, je pense lire dans la journée son 200 chambres 200 salles de bains, un court texte écrit au Palace Hôtel de Bussaco, non loin de Coimbra, au Portugal en une nuit d’insomnie (encore un petit éditeur : Le sonneur, encore du beau boulot).


3.




4 janvier 2015.- Quelques averses, une éclaircie (10°C). Je lis Valery Larbaud tout en écoutant Jimmy Giuffre ; une somme de délicatesses : « Mais il y a une autre utilisation possible de la vie d’hôtel : la considérer comme un état intermédiaire entre la vie active et celle de l'homme qui se fait porter malade, qui est entré à la maison de santé, au sanatorium, à l’hôpital. Laissez-moi lutter tout seul contre les suites et les retours probables de cette grave maladie qui m'a laissé une blessure invisible et mal fermée. Aussi longtemps que je pourrai me lever, aller de mon lit à la porte, descendre un escalier, prendre une voiture, un train, un bateau, je refuserai de me considérer comme un vrai malade. Et si vous essayez de m'enfermer dans un sanatorium, je vous préviens que je m'évaderai – à pied, même s'il le faut, et la nuit… Ma convalescence, ma guérison seront mon propre ouvrage ; mais pour m'y adonner, j'exige ma liberté entière. Liberté d'un genre particulier : celle qui consiste, pour un écolier chétif, à être “dispensé de récréation ” : à l'abri des chocs et des bousculades de la vie active. »
Cinq pages de Gregueria. Lire le « nouveau » Houellebecq, lire le « nouveau » Rolin : deux romans qui vont faire l'actualité.

5 janvier 2015.- Beau temps froid (2°C) Je suis dubitatif il faudrait peut être que je sache me libérer de tous ces argousins et autres gardes-chiourme outragés qui me semblent être les pires serviteurs d'une époque plus orwellienne qu'un congrès de bureaucrates en goguette. Peut-être? Peut être pas ? En attendant, je suis toujours plongé dans les Greguerias de l'ami Ramon. Elles ne sont certes pas « cruciales » mais plutôt mignonnes et sautillantes. Faut-il rappeler que le mignon et le sautillant ont tout pour me ravir, quant au crucial… «  Il y a autant d'audace à annoter les livres qu'à retoucher les tableaux d'une exposition »

6 janvier 2015.- Labeur. Brouillard et froideur, la banquise guette. (-1°C) Selon les anciens (et Thomas Browne) l'hippopotame est un animal amphibie qui vit dans le fleuve Nil et qui, excepté ses pieds, ressemble si peu à un cheval que l'on pourrait sans hésiter affirmer qu'il a tout du cochon surdimensionné. Alexandre Vialatte aimait beaucoup les hippopotames, leur myopie, leur façon de rêver dans les fleuves leur tristesse, et leur découragement. Moi aussi j'aime assez cette grosse bestiole, je lui trouve de tranquilles airs majestueux, une noblesse non ostentatoire.
Gregueria du jour : « Et si les fourmis étaient des martiens établis sur la terre ? » Merci Ramon !

8 janvier 2015.- Soleil narquois (11°C) Hier massacre à Charlie Hebdo. Larmes et désolation. Constat : il faudrait pouvoir penser au-delà de notre chagrin, s'interroger sur les pourquoi(s), prospecter du côté de la représentation...

10 janvier 2015.- Journée étonnement printanière (18°C). Sortant de trois jours éprouvants (tueries et autres assassinats) j’entame le Tajine et Michel Houellebecq qui commençait à refroidir. Je ne sais pas si le fond est provocateur, mais je constate simplement que Houellebecq est toujours cet étrange sociologue sous lexomil pourvu de l'étonnante qualité de sentir le monde avec son œil, ce n'est pas rien, c'est déjà ça (et puis il est encore mollement drôle ce qui ne gâche rien).

11 janvier 2015.- Des nuages. (4°C) Journée de « mobilisation nationale ». Trois millions de personnes défilant dans les rues de Paris, trois cents milles dans celles de Lyon ; sans moi, je suis agoraphobe. (Continué la lecture du roman de Houellebecq, avec peu d’ envie il faut bien le dire).

12 janvier 2015.- Ciel bleu pâle, semi-fraicheur. (8°C) Me voilà en porte-à-faux, fluant hors de tout appui, dans un équilibre qui ne durera pas. Pour le reste, je m'étonne des cris d’orfraie qui ont accompagné la sortie du nouveau roman de Michel Houellebecq. Je le lis et pour l'instant je ne lui trouve rien de véritablement scandaleux. C'est une dystopie un peu molle et parfois un peu drôle dans laquelle notre dépeigné en chef déterre le cadavre du « très curieux Huysmans» tout en imaginant , pour la France, un président musulman et modéré. Pas de quoi hululer pas de quoi sautiller non plus… ( c'est le moins bon livre d'un écrivain qui s'il perçoit toujours les « signaux de l'époque » n'en fait pas grand-chose d'autre qu'un petit fourbi ramolli.)
De la Serna, Gregueria du jour : « N'ayez crainte : la femme qui s'enferme à double tour après une dispute va non pas se suicider, mais tout bonnement essayer un chapeau » .

13 janvier 2015.- Beau temps, relative douceur (11°C). Quelques fluentes greguerías de l'ami Ramón. Trois Peanuts du toujours formidable Charles Monroe Schulz, cinq strips malvenants de Feu Charb que j'ai lapé entre rire et nœud dans la gorge. Ce sera tout pour aujourd'hui.

15 janvier 2015.- Du vent. (13°C) Soyons flegmatiques, succombons à notre désir d'impassibilité !
Feuilleté l’Abécédaire d'Alexandre Vialatte (il y a du kangourou dans tout ce qui est insolite…). Lu le Numéro « historique » de Charlie Hebdo (émouvant et parfois drôle). Fini la Culture de l'égoïsme court dialogue entre Cornelius Castoriadis et Christopher Lasch (rien de décisif). Bu un Thé vert chinois et équitable (Sencha Zhejiang). Regardé par la fenêtre : les jours s'allongent et c'est très bien ainsi.

16 janvier 2015.- Pluie torrentielle, température en baisse (7°C). Butiné dans la Véritable origine des plus beaux aphorismes de Dominique Noguez. Cette splendeur de Cyril Connolly : «  Better to write for yourself and have no public, than to write for the public and have no self » (Mieux vaut écrire pour soi-même et n'avoir aucun public qu'écrire pour le public et n'avoir aucun soi-même). Du même cette autre splendeur : « A partir de ce moment, j'ai rarement vécu sans un amour en tête, et une vie sans amour n'est toujours apparue comme une opération sans anesthésie ». Noguez évoque ensuite Laurent Tailhade poète anarchisant victime de l'anarchisme : un explosif caché dans un pot de fleur lui arrachera un œil : « Qu'importe de vagues humanités, pourvu que le geste soit beau ! »

17 janvier 2015.- Ciel changeant (7°C). Fini le Soumission de Houellebecq. Oscillé entre ennui profond, intérêt relatif et constat retors. Ennui profond devant un roman-roman d'anticipation poussif et mal charpenté, intérêt relatif lorsqu'il est question de Huysmans, Nietzsche ou René Guénon, constat retors : le livre n'insulte pas vraiment l’islam, il insulte plutôt les femmes qui sauront certainement se défendre sans bain de sang superfétatoire.

18 janvier 2015.- Beau temps froid (4°C). J’entame les Événements de Jean Rolin. Encore un livre de « politique fiction », mais bien plus buissonnier que celui de Houellebecq. Rolin se promène dans une France qu'il imagine ravagée par une guerre civile hasardeuse et constate les effets du conflit tout en gardant sont habituel hyperréalisme géographique. Le résultat est assez étonnant, comme pourrait être étonnante une république balkanique en ruines téléportée dans le paysage et le mobilier urbain français. Est-il utile de préciser qu'au milieu de ce grand chambard, les hommes n'existent pas vraiment ? (En dehors de la géographie, le roman-roman d'anticipation me semble bancal et assez échafaudé à la diable).

19 janvier 2015.- Labeur. Pluie gelée, neige manquée (2°C). Not in the mood. Assommé par le labeur. Sans envie, je ne suis plus qu'un somme de frustrations. Commencé un nouveau cahier, des spirales, 180 pages…

22 janvier 2015.- Averses valétudinaires, vent acéteux. (5°C) Vertical sous un ciel spleenétique, je m'ennuie de tout. Une journée de plus. Quel est le sens de tout cela ? Vivre sans raison, mourir sans raison. La vie n'est qu'une impermanence périssable nichée au creux d'un cosmos qui ne lui demandait rien.

23 janvier 2015.- Toujours cette météo sinistre, cette gangue d'humidité. (4°C) Je bois un rooibos sud-africain tout ne lisant le Monde des livres. Le feuilleton d'Éric Chevillard n'est pas follement sautillant, mais tout de même assez bien. Toujours dans les Greguerias de Ramón Gómez de la Serna que je lis par petites bouchées gourmandes. Encore un peu dans le Journal de Renard, les Cahiers de Cioran, les Pensées de Joubert. Mes journées de labeur derrière moi, il n'y a que du fragmenté pour contenter ma faim de lecture. Demain, loin du labeur, je finirai les Événements de Jean Rolin et j'entamerai un autre livre, je ne sais pas encore lequel, ma bibliothèque déborde.
Rien (ou presque)  : Il arrive aux narcissiques qui s'ignorent d'être orgueilleux sans même le savoir.

24 janvier 2014.- Quelques flocons, du brouillard (1°C). Certains voudraient voir Jean Rolin comme un tenancier du roman-roman qui , par dilettantisme, ne tiendrait pas toutes ses promesses. Or Rolin n'a jamais voulu écrire, s'agissant de ses « fictions », que des promesses de roman. Rien d'autre puisque ce qui l’intéresse est ailleurs. Il est surtout un voyageur attentif aux lieux qu'il traverse. Dans les Événements, le Massif central, de Clermont-Ferrand à Langogne puis les alentours de Marseille (toute cette industrie en bord d'étangs). On a donc à faire à des paysages, une topographie, une faune, une flore, plus qu'à des métastases fictionnelles (même si elles pointent un tantinet le bout de leur nez sur la fin). Vous allez me dire que tout cela manque un peu d'humain et vous aurez peut être un peu raison. Disons que chez Rolin l'humain va avec l'humour, ici une cohorte assez burlesque de miliciens de tous poils, de Djihadistes incertains (Aqbri : Al Qaïda dans les Bouches-du-Rhône)
Rien (ou presque) : Je casse une noisette, je la décortique, je mange son amande. Dehors il neigeote, l'hiver est là.


To be continued



mercredi 13 mai 2015

Remake / Remodel N°29



« Le 1er avril

Cher André Breton,

Je ne sais pas si c’est la date – ce que l’imagerie lui accorde – qui m’incite à vous écrire ce soir, à vous parler de cette âme sentinelle toujours au créneau – au créneau depuis toujours – et dont la chanson nocturne monte et flambe avec les feux de la Saint Jean, quand c’est la saison – flambe solitaire aux yeux de quelle veilleuse ? Comme un feu de bivouac en attendant le jour. Je songe aux lumières de la ville. Ne s’agit-il pas pour moi d’aller au fond du coma retrouver la raison de mon esprit, puisque l’on veut me guérir d’un mal dont la lumière pourtant rédemptrice m’a déchiré.

(trois lignes biffées)

Je ne suis plus enfermé dans cette cellule atroce avec la seule perspective de voir le ciel changer les formes du désir sur une prison de fous – mon horizon antérieur, entre ces murs que les assassins ont couvert de graffitis.

De ma chambre, le front à la vitre, je peux voir des lumières dans la campagne, des visages gris comme la lumière des mes journées – tristes et belles.

Le front à cette vitre qui est le pare-brise de la voyance semblable au journal de l’homme de la rue – je songe devant le mythe, comme avant l’assaut, comme en attendant l’émeute qui libérera la conscience humaine dans le no mans’ land de l’aube, on chante.

Un article fortuitement trouvé dans un magazine m’a rappelé les ouvrages d’Abelioi (sic) – une situation semblable chez un homme que l’action politique, la violence où l’on affranchi (sic) la condition humaine des servitudes où elle s’est connu (sic), un homme dis-je qui ne pense plus qu’à extraire le chiffre du salut de l’Apocalypse dans l’esprit d’un prophétisme nouveau, au bord du mythe où militent les voleurs de combat que la révolution surréaliste nous a amené (sic) à connaître.

Tout cela en attendant – en attendant d’être libre – alors que l’on va me soigner puisque la détresse et le chagrin n’ont eu raison de moi.

Votre ami

Stan Rodanski »

jeudi 7 mai 2015

Solitude de l'audionaute de fond (15)


26 avril 2015. Jeff Kelly – Coffee in Nepal (1987) Leader des Greens Pajamas sympathique combo vaguement rétro sixties, Jeff Kelly est aussi responsable de quelques disques globalement intéressants. Celui-ci, son premier, à de bons moments. L'écoutant on pourrait se croire égaré chez un Ray Davies amoindri voire chez des Zombies passés en mode lo-fi. Rien d'ostentatoire, une petite évidence mélodique au coin de l'inspiration, pas de quoi sautiller frénétiquement, mais un peu de plaisir à prendre.
Pour passer du coq à l’âne (du coq, je suis l’âne), je passe de cette pop rachitique à Sviatoslav Richter interprétant Debussy. Chez Richter le gibet est encore plus brumeux qu'ailleurs, le pendu presque indiscernable, comme déjà un peu parti.

28 avril 2015. Cal Tjader – Stan Getz Sextet (1963) Enregistré à San Francisco en février 1963, sorte de parangon west-coast au casting impeccable : le jeune Billy Higgins aux drums, le mythique et jeune pour toujours Scott LaFaro à la contrebasse, Vince Guaraldi le Borgia du piano cool et les deux têtes d'affiche : Getz que l'on ne présente plus, l’impeccable et plus qu'à son tour languide Cal Tajder. Si les titres les plus rapides versent un peu dans l’anecdotique et la tentation latino lounge (Ginza Samba), les ballades et valses sont elles toutes délicates, sveltes et d'une légèreté qui n’assomme pas le propos.

29 avril 2015. The Optic Nerve – Forever and a Day (1993) S’il y a du dérisoire à vouloir donner dans la reconstitution historique, il y a heureusement quelques exceptions qui sont là pour confirmer la règle. Prenons cet obscur combo : les Optics Nerve: un seul album qui a vu de nez a de quoi inquiéter et rebuter l'éventuel auditeur : des coupes de douilles problématiques, une pochette en faux vintage et vrai rétro, un soupçon tenace de revivalisme aux petits pieds qui rode. Bon on écoute quand même le disque, et là surprise, il faut bien constater que l’inquiétude à tendance à tomber et que même un début d’intérêt commence à poindre. Si la production est bien rachitique-sixties et plus garage que mon dos (en fait des démos recueillis), les compositions sont, elles, presque toutes excellentes et tiennent relativement bien la route : tendues, droites, debout et sans béquilles... Des carillons mid-sixties, des rickenbackers volées aux Byrds et même un nasillement plus dylanien que nature. Du bon garage-rock qui n’invente pas plus que ça, mais avec un grand respect de la tradition et en somme quelque chose de classique bien plus qu’une trop forte addiction aux oripeaux du rétro. Si seulement il n’y avait pas ces cheveux « playmobil sixties » et cette pochette faussement mordorée il n’y aurait aucun mal à bien vouloir recommander ce disque. PS : Il est évident que l’écoute des originaux s’impose d’elle-même.
Jean Claude Vannier – Jean Claude Vannier (1975). On porte aux nues le Vannier arrangeur chez Gainsbourg (on a un peu raison de le faire), le Vannier orchestral, celui de L'enfant assassin des mouches, on oublie le Vannier chanteur, le Vannier piano-bar, le plus dandy, le plus léger, mais aussi le plus attachant. Dans ce premier album il est assez formidable, tournant autour d'une mouflette, flottant dans de belles vapeurs alcoolisées, constatant que l'âge avance et que l'amour passe un peu avec (Mimi, mimi, mimi… grande chanson), chantant la première version de Super Nana, sans ostentation et sans la lourdeur d'un Jonasz échappé de la première boite de djase qui passe

29 avril 2015. Normil Hawaiians ‎– More Wealth Than Money (1982). Une somme d'éléments hétéroclites dans la marmite : des bouts krautrock, du psychédélisme mal digéré, des langueurs prog-rock, de la raideur post-punk; Neu ! qui rencontrerait Syd Barrett, le Yes « historique » qui batifolerait avec Wire (vision cauchemardesque), Magazine et Joy Division, pudding improbable, mais double album diablement intriguant…  (Je ne sais pas grand-chose des Normil Hawaiians, c'était apparemment un « collectif » de musiciens originaires du sud-est de Londres, un certain Guy Smith, chanteur et guitariste, en était le leader et Dave Anderson un ex Amon Düül et Hawkwind joue de la basse sur quelques titres).
Pour rester post-punk et obscure les amateurs de pendaisons au petit matin, au petit gris, apprécieront à leur juste hauteur, les marmoréens Schleimer K et leur refroidissant Cold Sounds, les Bostoniens crispés Limbo Race et leur Fluids gélifié, Robin Crutchfield crooner glacial qui sous le guilleret patronyme de Dark Day nous rappelle la grande poésie des aciéries (Metal Benders).

30 avril 2015. Paul Bley Trio – Closer (1966) Second album de Paul Bley pour le label ESP. des expérimentations pianistiques pour l'essentiel « composées » par Carla Bley et interprétées par son époux qui dans le genre entrelacé et suspendu se pose là. Un peu d'ennui, pas vraiment ma tasse de Darjeling mais un titre magnifique en ouverture, cette fameuse ode à Ida Lupino, j'aime beaucoup Ida Lupino.

1 mai 2015. 1er mai pluvieux, phagocyté par les singeries nationalistes. on se console en écoutant Robert Wyatt, notre marxiste léniniste préféré, il gazouille une belle version de l’Internationale, il pourrait gazouiller le bottin cela serait aussi beau. On regarde ensuite d'autres révolutionnaires notoires, les MC5, ils interprètent leur titre le plus fameux : Kick Out The Jam (Mother Fucker!), belle prestation au Beat Club de Brême (RFA).

2 mai 2015. Sleepers — The less an object (1977-80) N’ayant pas plus de courage que d’inspiration et encore moins d’intentions bienveillantes je me contenterais du plus élémentaire factuel et je vous signalerais simplement ce disque là qui tourne et retourne métallique et vénéneux sur une platine invisible. (le numérique est invisible à tourner). Voilà donc la fiche de la clique primesautière susdite Sleepers dûment tamponnée par les bons soins d'Edwige ma muse gracieuse.
Punk mythique west coast : « Joy division avec des couilles ». Ricky Wilson chanteur foutrement azimuté, fondateur des essentiels Flipper, puis éjecté des Flipper, ensuite là, énorme avec les Sleepers. Lentes chansons gothiques en accords mineurs, ontologique lourdeur qui pèse de tout son poids, vague bruit narcotique et spectral qui flotte sur du malaise palpable, terrible impudeur des lyrics…
Ricky Wilson mort depuis de son beau trépas, l’espérance de vie dans le punk mythique west coast frôlant d’une larme celle du brave kolkhozien au bord du Dniepr au milieu des années 80. Plus au nord, Kurt Cobain perpétuera la tradition. Les survivants joueront derrière Mark Eitzel.