jeudi 18 décembre 2014

Psychogeographie indoor (54)



« Je trouve de moins en moins de goût à tout, et même de ne trouver de goût à rien » (Fernando Pessoa, Le livre de l'intranquilité)


1.

30 mai.- Quelques nuages inoffensifs traversant un ciel bleu pâle. (22°C) Poursuivi ma relecture du Livre de l’intranquilité, en extérieur, entre nuages et soleillées dans un doux et tiède état semi-flottant avec pour seuls témoins quelques oiseaux, tout autant invisibles que chantants, et deux trois chats stoïques entre deux siestes.
Pessoa est merveilleux, il garde cette admirable capacité à nous rendre heureux alors qu’il reste continuellement engoncé dans sa solitude, son abandon, son manque d’entrain pour une existence qui l’assomme de tout son poids ontologique. Il nous rend heureux parce qu’il n’est jamais doloriste, jamais sinistre, faisant preuve d’une magnifique inaptitude au bonheur et d’une encore plus magnifique aptitude à le rêver (rêvons notre bonheur) : «  Tout au fond, le Tage est un lac d’azur, et les collines de la rive sud semblent celles d’une Suisse aplatie. Un petit navire (un cargo noir à vapeur) quitte le port, du côté de Poço do Bispo, et se dirige vers l’embouchure du fleuve que je ne peux voir d’ici. Que tous les dieux me conservent, jusqu’à l’heure où disparaîtra mon aspect actuel, la notion claire, la notion solaire de la réalité extérieure, l’instinct de mon importance, le réconfort d’être si petit et pouvoir penser à être heureux »
Lire Plonger (Bernard Chambaz)

31 mai.- Journée estivale. (25°C) Lézardé tout en ajustant me lunettes de soleil d’une main et en tenant Le Livre de l’intranquillité d’une autre. Je dois dire que ma lecture fut d’un doux pointillisme et agrémentée de siestes tout autant bienfaitrices que passagères. Malgré mon état très alangui je suis tout de même parvenu à percevoir un « drôle d’écho » entre Pessoa et Proust, ce n’est pas rien. : « Nous n’aimons jamais vraiment quelqu’un. Nous aimons uniquement l’idée que nous nous faisons de ce quelqu’un. Ce que nous aimons, c’est un concept forgé par nous – et en fin de compte, c’est nous-mêmes », « Quand on aime, l’amour est trop grand pour pouvoir être contenu tout entier en nous ; il irradie vers la personne aimée, rencontre en elle une surface qui l’arrête, le force à revenir vers son point de départ, et c’est ce choc en retour de notre propre tendresse que nous appelons les sentiments de l’autre… ». Pour le reste arrosé plantes et fleurs avec pour moi la satisfaction du jardinier amateur.

1 juin.- Des nuages (22°C) Lever 7 h 30. Séance de psychogéographie, 2km au grès du hasard. Ré-entamé le Livre de l’intranquillité. Il y a certainement des jours sans Pessoa comme il y a des jours sans car je l’ai curieusement laissé choir et me suis rabattu sur une lecture moins essentielle (Les Morts de la Saint-Jean d’Henning Mankell, Wallender épisode 7). Du côté des petits tracas du quotidien mon ordinateur victime d’une surchauffe fatale j’ai bien failli trépasser calciné en sa compagnie. Demain départ pour Paris et le cimetière du Montmartre, je pense rendre une petite visite à Beckett, Cioran, Bove et consorts…

6 juin.- Soleil voilé. (22°C) Retour de Paris. Le parisien est globalement palot et chemine prestement en costume cravate dans les couloirs du métro. Affluence touristique raisonnable. Quelques asiatiques égarés, mais guère plus. J’ai posé deux pierres sur la tombe de Beckett, trois petits bouts de bois et un genou sur celle de Cioran, j’ai rigolé sous cape en constatant que la tombe de Jules de Gaultier était tout à fait cachée par celle de Gainsbourg puis j’ai « fait le Louvre» en courant (en passant par la porte des Lions) et la Tour Eiffel avant l’ouverture…

7 juin.- Temps estival, quasi canicule. (32°C) Vie sociale, trop de vie sociale, peu de temps pour la lecture. Nonobstant je suis toujours un peu chez Mankelll. Les morts de la Saint-Jean, dispensable, mais distrayant. Wallander se découvre diabétique, suant et pissant plus que de raison il lui faut faire face à un tueur maléfique. L’enquête est assez fluctuante un peu à l’image d’un taux de sucre qui monte et qui descend.
Pour faire bonne mesure lu trois pages de Pessoa.

9 juin.- Ciel blanc laiteux, chaleur indécente, caniculaire (34°C) Vie sociale, long week end alcoolisé. Peu avec mes mots. Toujours dans les Morts de la Saint Jean, pas loin d’être le meilleur de la série Wallander.

10 juin.- Grande tiédeur, air pesant et couleurs pâles (34°C) Quatre pages de Pessoa. rien de plus… trop chaud.

12 juin.- Appétence caniculaire, moiteur mékongaise. (33°C) Trop saisie par le labeur, rien lu, ou si peu. Sans mots à lire je n’y suis plus vraiment.

14 juin.- Vent et tiédeur, (28°C) N’y suis plus vraiment. Fini les Morts de la Saint Jean de Mankell (le meilleur Wallander ?). Encore un peu avec Pessoa. Lu quelques chroniques de Patrick Besson, face au soleil et dans un vent quasi saharien. Disons que Besson est très parisien, pour le pire et pour le meilleur.

15 juin.- Nuages et vent, plus de fraîcheur. (23°C) C’est la métaphore qui distingue l’homme des autres animaux. L’homme, tout du moins l’homme un tant soi peu finaud, métaphorise. Les autres animaux jamais, ils chassent, jouent, copulent, se prélassent au soleil mais ne métaphorisent jamais.
J’entame Poésie de la pensée de George Steiner il y est question de métaphore et de bien autre chose. Des origines de la prose, des contacts synaptiques entre le raisonnement philosophique et l’expression littéraire et même de la libido mathématique chez Bergson et Wittgenstein. Steiner est diablement érudit, assez madré et toujours intéressant. Pour le reste toujours chez Pessoa, ce qui n’est pas rien.

17 juin.- Quelques passages nuageux, encore un peu de vent (23°C) Rien lu. Travaillé ma psychogéographie indoor. Regardé le soleil derrière les nuages. Rangé l’un de mes placards. Rien d’autre. Nichts anderes. Nothin else.

19 juin.- Soleil. (27°C) L’un de mes voisins ayant décider d’écouter un genre de gangsta rap français foutrement agressif tout en ouvrant ses fenêtres en grand, j’ai eu beaucoup de mal à me concentrer sur la moindre lecture. Néanmoins petit tour chez George Steiner, la sandale d’Empédocle, l’invention de l’oxymore, ce genres de choses. Tour un peu plus grand chez Joseph Joubert qui ne déçoit jamais : « Il serait singulier que le style ne fût beau que lorsqu’il a quelque obscurité, c’est-à-dire quelques nuages ; et peut être cela est vrai, quand cette obscurité lui vient de son excellence même, du choix des mots qui ne sont pas communs, du choix des mots qui ne sont pas vulgaires. Il est certain que le beau a toujours à la fois quelque beauté visible et quelque beauté cachée. Il est certain encore qu’il n’a jamais autant de charmes pour nous que lorsque nous le lisons attentivement dans une langue que nous n’entendons qu’à demi… »

21 juin.- Soleil, ciel IKB et température estivale. (28°C) Not in the mood. Poésie et pensée. Assez ennuyé par l’érudition paonnante de George Steiner. Il faudrait peut-être que je le lise un peu plus mal, d’un coup d’œil distrait et sans ostentation pour être vraiment avec lui ? Allez savoir ?
« Lire, c’est rêver en se laissant conduire par la main. Lire mal et d’un coup d’œil nous libère de la main qui nous conduisait. La superficialité dans l’érudition, voilà la seule façon de bien lire et d’être profond » (Fernando Pessoa)

22 juin.- Tiédeur, grande tiédeur. Quelques nuages, lourds et menaçants. (33°C) Toujours dans le coq à l’âne philosophique de l’ami Steiner (Poésie et pensée). Drôle de constatation : Trotski, Staline, Mao et même Enver Hoxha étaient aussi écrivains. Enfin plus qu’Hegel qui lui ne l’était pour ainsi dire pas du tout (il préférait échafauder ses petits concepts philosophiques à des altitudes bien éloignées de la littérature). Pour le reste encore un peu chez Pessoa, pas très marxiste, mais tout de même assez écrivain.

23 juin.- Tiédeur mékongaise. Net tendance orageuse.(30°C) Dans un état fluctuant, entre relâchement et indifférence, tout juste dérangé par une grosse mouche kamikaze qui s’est écrasée bêtement contre la vitre de l’une de mes fenêtres. Fait un petit tour dans les Cahiers de Cioran. Picoré dans L’air et les songes de Bachelard ( il ne déçoit jamais).

25 juin.- Tiédeur, quelques gros altostratus obscurs vaguement inquiétants.(28°C) Une ligne  de Cioran, deux de Joubert c’est amplement suffisant pour « faire » ma journée : « Par peu d’être quelconque, j’ai fini par n’être rien », « Tenez votre esprit au-dessus de vos pensées et vos pensées au-dessus de vos expressions »
Pour le reste arrosé plantes et fleurs sous le regard d’un chat noir tout autant replet qu’indifférent.



2.


26 juin.- Rares nuages, soleil dominant. (28°C) So tired. Quelques pages de Pessoa. Lire Felix de Walser.

27 juin.- Tendance orageuse. Humidité 33%. Vent 6 km/h. (28°C) Cioran, Cahiers. Angelus Silesius, Le pèlerin chérubinique : « la vraie vacuité est comme un noble vase.
Contenant du nectar. Il recèle, mais ne sait quoi »

28 juin.- Ciel cireux, bourrasques et humidité prognathe. L’orage rôde, l’orage est bientôt là. (28°C)
Fatigué, sans inspiration, un peu absent, malade ? Felix de Robert Walser. Mince opuscule qui en vaut de bien plus replets. Extrait des « microgrammes », ces vingt-quatre épisodes frôlant l’autobiographique sont tout à fait merveilleux. On y retrouve l’esprit sérieux de l’enfant Walser, les interrogations de l’adolescent Walser, un début de doute… D’autre part retour dans le Pseudodoxia Epidemica de Thomas Browne. Contrairement à une idée reçue chez les anciens, le Caméléon ne se nourrit pas d’air, il est important de le savoir.

29 juin.- L’orage nous aura tourné autour sans jamais vraiment nous tomber dessus. Ce qui nous est par contre tombé dessus ce sont les températures, une chute vertigineuse, pas moins de 15°C perdus en moins de deux jours, c’est beaucoup. (17°C)
Léger retour dans les chroniques germanopratines de Patrick Besson. L’homme du point est toujours agréable à lire, comme ça au débotté, entre deux lectures censément cardinales. Chez lui j’ai pêché ce petit mot de Victor Hugo (poète cardinal) : « Souvent la foule trompe le peuple ». C’est déjà ça.
Otherwise, a little touch of Pessoa. It never disappoints.

30 juin.- Ciel changeant. (23°C) Angelus Silesius : « Le diable n’entend que le tonnerre, vacarme et craquements. Aussi pourras-tu trouver plaisir à la rendre par ta douceur fou à lier ». Joubert : «  Il y a des pensées qui n’ont pas besoin de corps, de forme, d’expression. Il suffit de les désigner vaguement et de les faire bruire : au premier mot, on les entend, on les voit. »
Rien d’autre.

3 juillet.- Chaleur étouffante. (33°C) L’homme étant la seule bestiole capable de batifoler debout il peut donc assez facilement observer le ciel. Il lui suffit de pencher la tête en arrière et le tour est joué. Cela lui fait un point commun avec l’uranoscope un poisson osseux proche de la vive, qui ne sait pas se tenir debout, mais qui a les yeux adroitement situés sur la face supérieure de la boîte crânienne.
Pour le reste, ennuies judiciaires d’un ex-président zebulonesque, le pays s’ensable.

5 juillet.- Queue d’orage, moiteur. (27°C) Un peu trop saisi par les diverses manifestations sportives télévisées encombrant ce début d’été. Une Coupe du Monde de football qui s’achève un tour de France cycliste qui commence. Je me donne l’impression d’être un poisson rouge dévisageant un téléviseur depuis son bocal.
D’autre part, voisins bruyants. Je n’ai rien contre les « musiques urbaines » à forte tendance «vas y nique ta mère » mais je dois bien constater que les nuisances sonores sont l’un des pires totalitarismes de nos sociétés policées par les droits divers et variés.
Pour le reste, entamé l’Homme au balcon de Maj Sjöwall et Per Wahlöö. Le roman d’un crime épisode 3. Eté 1967, Stockholm, un sadique trucide deux fillettes comme cela au débotté. Belle sécheresse de style, crudité et économie de moyen. Ce côté toujours moderne et ces arpents sciences sociales au service du récit.

6 juillet.- Orages. (23°C) Je m’ennuie, tout me fatigue et même ce petit journal à goût censément littéraire. Déçu par l’Homme au balcon de Sjöwall et Wahlöö. Finalement trop factuel et désincarné.

7 juillet.- Pluie continuelle, quasi-fraîcheur (17°C) Poésie de la pensée, Steiner. Érudition décousue, érudition paonnante ? Petit tour dans les Cahiers de Cioran : « On devrait me donner l’ordre de travailler, d’écrire et même de vivre. »

10 juillet.- Pluie continuelle, température automnale. (16°C) Incapable de lire plus de trois pages. Incapable d’écrire plus de trois lignes. Trop embarrassé par le labeur, le temps maussade et l’air ambiant. Pourquoi vivre avec le poids de tant de contraintes sur le épaules alors que  ?

11 juillet.- Pluie, pluie, pluie, pluie, pluie… (15°C) Rien, nothing, nada, ništa, nenio…



3.


12 juillet.- Encore cette pluie, cette quasi-brume et ces arpents automnaux. (17°C) J’ai entamé la lecture des Cahiers de Gustav Anias Horn de Hans Henny Jahn avec un curieux appétit au coin des babines. C’est le second volume de Fleuve sans rives et la suite du Navire de bois. Trente ans plus tard, Gustav Anias Horn entreprend d’écrire la somme de son existence. Voilà un drôle de journal intime, un machin tenaillé par les divers « détraquements »encombrant Hans Henny Jahn. Fascination pour la putréfaction des corps, la moisissure des âmes, les os en capilotade. La mort rôde et on se demande bien pourquoi il y a vie : « En tous les cas, il est malsain de tenir le passé pour quelque chose de réel, ou surtout pour quelque chose de vrai. L’être humain se transforme radicalement tous les sept ans. Ce ne sont plus les mêmes muscles. Ce n’est plus le même œil qui regarde la terre. Le sang a été plusieurs fois renouvelé. Une autre langue goûte aux mets. D’autres manies germent. Le vécu s’est envolé avec le souffle des poumons, et vidé avec l’eau des reins ; des nourritures évacuées, voilà ce qu’est le passé »

13 juillet.- Averses persistantes. (20°C) Hans Henny Jahnn. Les Cahiers de Gustav Anias Horn résolvent toutes les énigmes posées dans le Navire de bois (meurtre, mutinerie, naufrage). Pourtant rien de totalement éclairant, plutôt quelque chose d’embourbé en pire, de malsain en bien…

14 juillet.- Quelques soleillées éparse, guère plus. (22°C)
Vide, sans envie, aucune inspiration. Je ne me retrouve plus dans mes mots. Je m’assèche comme une fleur délaissée dans son pot. Mes cellules vieillissent, mon corps s’affaisse, et je me demande pour quelle drôle de raison je peux bien être là ; vivant encore, toujours un peu sautillant… En définitive, il est bien possible que je sois un mur de Planck à moi tout seul.
D’autre part toujours chez Hans Henny Jahnn. Perturbant, gênant, parfois génial et en tous les cas inlassablement encombré par de sinistres histoires de pourrissement sur pied. Une sensualité sybarite gouvernée par un goût tordu pour la déchéance des corps, vivants ou morts… une curieuse nympholeptie et une homosexualité tellement refoulée qu’elle explose en geysers malsains.

15 juillet.- Ciel dégagé, pas de vent, humidité 42 %, visibilité 10 km, pression atmosphérique 1021 mbar, indice UV 2. (25°C)
Quelque chose tourne, quelque chose s’élève. Je l’observe depuis des jours, mais elle ne m’inspire aucune phrase, aucun mot, non vraiment. Je vais me contenter de ne rien faire et de la subir comme un prisonnier subit son enfermement. Subir ne demande rien. J’ose simplement espérer que cette chose qui tourne et s’élève ne me tombera pas au coin du nez, je serai bien incapable de l’éviter.
Otherwise : Hans Henny Jahnn est terrifiant, vraiment. Le lire est une épreuve, se retrouver au plus profond de soi-même relève souvent de l’épreuve.

16 juillet.- Ciel bleu pâle, indice UV 4, grande tiédeur. On annonce des températures de plus de 35°C pour demain. (32°C)
Picoré chez George Steiner (Poésie de la pensée). Toujours ce coq à l’âne philosophique un brin tape à l’œil. Pertinent je ne sais pas, mais à coup sûr intéressant sur Wittgenstein et ses courtes phrases définitives.
Encore plongé dans les Cahiers de Gustav Anias Horn. Au fil de ma lecture Jahnn ressemble de plus en plus à un Conrad en pire. Tout du moins pour la partie maritime, pour le reste je vous laisse juge : «  Ainsi à l’époque de Montezuma, les Mexicains exigeaient encore chaque année des tribus indiennes soumises dix mille jeunes gens pubères, qui étaient sacrifiés, au sommet d’une pyramide, au dieu de la guerre. Des prêtres ouvraient le thorax de ces victimes pitoyables, au-dessus du creux de l’estomac, avec des couteaux en pierre ou or. Puis ils plongeaient la main dans le corps pour en arracher le cœur palpitant. On découpait les cadavres en morceaux et les jetait au bas de la pyramide, afin que le peuple de la nation victorieuse qui campait alentour puisse se jeter dessus pour les dévorer. Un festin bienvenu pour accompagner le maïs quotidien. »

17 juillet.- Grande tiédeur. (34°C) Les Nouërs du Soudan lorsqu’ils ne pataugent pas dans les marécages du Nil, se teignent les cheveux en rouge vif. Pour ce faire, ils utilisent de la terre glaise, quelques bouses de vache et de l’urine de bœuf. N’y voyez rien de répugnant, l’urine de bœuf n’est pas moins estimable que le lait d’ânesse dans la Rome antique, tout est une question de point de vue. (Je tiens ces informations d’Hans Henny Jahnn… ), : « L’homme civilisé fait confiance à la stérilité comme aux canons. Ce n’est qu’un bruit vide, manquant de cœur. Il sait retrousser le nez. Ce n’est pas grand-chose ». Chez Steiner « la tortue de Zénon, la caverne de Platon le « malin génie » de Descartes ou les impératifs étoilés de Kant »

18 juillet.- Tiédeur mékongaise. (33°C) Trop de vie sociale. Fini le livre de Steiner (assez margoulin). Demain départ pour la Bulgarie.


To be continued


mercredi 17 décembre 2014

Remake / Remodel N°28



« La musique a ceci de commun avec la poésie et l'amour, et même avec le devoir : elle n'est pas faite pour qu'on en parle, elle est faite pour qu'on en fasse ; elle n'est pas faite pour être dite, mais pour être « jouée »... Non, la musique n'a pas été inventée pour qu'on parle de musique ! N'est-ce pas la définition même du Bien ? Le Bien est fait pour être fait, non pas pour être dit ou connu ; et de même le mal est une manière de commettre l'acte plutôt qu'une chose sue ; bien et mal sont d'ordre sinon dramatique, du moins drastique * . Le bien est l'affaire des militants ! La poésie, en cela, n'est-elle pas une sorte de bienfaisance ? Faire comme on dit, et même faire sans dire * : telle serait sans doute la devise de celui dont toute la vocation intentionnelle est de faire, de faire transitivement * , de faire purement et simplement, et non pas de faire faire... Car qu'est-ce que la parole, sinon une action secondaire, une action avec exposant ou, mieux encore, comme dans l'art de persuader des rhéteurs, une action sur de l'action ? Le Dire est un Faire atrophié, avorté et un peu dégénéré : action en retrait ou simplement ébauchée, la parole est volontiers pharisienne * et n'agit qu'indirectement..., sauf bien entendu en poésie, où c'est le dire lui-même qui est le faire ; le poète parle, mais ce ne sont pas des paroles pour dire, comme les paroles du Code civil : ce sont des paroles pour suggérer ou captiver, des paroles de charme ; la poésie est faite, immédiatement, pour faire le poème, et la poétique, qui est un faire avec exposant, pour réfléchir sur la poésie. La même différence sépare en musique le créateur et le théoricien. On parle trop, aujourd'hui, pour avoir musicalement quelque chose à dire ! Tels les philosophes, oubliant de philosopher, parlent de la philosophie du voisin... » (Vladimir Jankélévitch, La Musique et l'Ineffable)