dimanche 12 octobre 2014

Psychogeographie indoor (52)



« Je suis à moitié né, je suis complètement mort », Georg Trakl

1.

22 février.- Ciel changeant, douceur relative. (11°C) Retour dans les voyages de Pierre Loti. Grand plaisir à entamer L’Inde sans les Anglais. Loti est certes très peu crédible il fait comme par magie des bonds de plusieurs centaines de kilomètres, mais il brode sa petite affaire avec des mots tellement pleins de couleurs, de fragrances qu’il ne peut qu’être ton sur ton avec le sujet censé l’occupé. Forêts inquiétantes, animaux baguenaudant, Maharajas circonspects, misère latente son Inde est une autre planète. « C’est en considérant l’Inde comme un pays imaginaire qu’on s’approche le plus de la réalité »

23 février.- Ciel immaculé, douceur quasi printanière. (17°C) L’Inde de Pierre Loti est merveilleuse. Les éléphants centenaires se dandinent sous la lune comme des monstres mous. Les jeunes filles sont sveltes avec de grands yeux noirs. Les hommes, quant à eux, s’enveloppent dans de grandes toiles blanches, nouent leurs longs cheveux pour mieux s’étendre comme des ensevelis, devant les portes parmi les chèvres « avec cette répulsion que les Indiens éprouvent pour coucher sous des plafonds ou des voûtes, ils s’endorment dehors, dans la nuit tiède et languide, saturée d’exhalaisons de fleurs et comme cendrée de poussière bleue ».

24 février.- Beau temps. (15°C) Loti.Nothing else.

25 février.- Du gris, de l’humide. (11°C) Retour du labeur. Soulevé 8 sèche-linges, 1 cuisinière, 3 réfrigérateurs, 10 fours et quelques autres petites broutilles. On concédera qu’après tant d’efforts, tout autant solitaires que non voulus, mon cogito soit pour le moins embrumé. Nonobstant petit tour dans les Cahiers de Cioran. Ce « mot » qui résonne assez avec la récente situation ukrainienne : « L’esprit ne s’épanouit ni dans les excès de la liberté ni dans ceux de la terreur.il lui faut une contrainte supportable ». Nothing else.

28 février.- Quelques éclaircies. (7 °C) Guère d’entrain. Une nouvelle de Robert Benchley, qui ne déçoit jamais. L’humour assez cintré du père Valery : «  Je vais déchirer cette lettre – mais le papier résiste – et dans le temps de la résistance, je change d’avis, je le classe – que de gens allaient tuer, et ne l’ont pas fait, gênés, déviés, par un rien… » Suis-je le seul à trouver cette petite chose tordante ?

1 mars.- Nuages, vent léger. (7°C) Retour dans l’Inde de Pierre Loti. Joli bond du côté du Rajasthan. Belle terre aride avec comme de la cendre en suspens dans l’air, des éblouissements de soleil, des villes merveilleuses… Udaipur et ses lacs, Jaipur et son marbre rose, Amber principauté en ruine avec ses singes, ses éléphants. Au milieu de tout ça, de ses ors et merveilles, un peuple, des hommes, des femmes, des enfants qui meurent de faim. Les affamés rodent, tendent la main, frappent leurs ventres plats puis perdant tout espoir s’écroulent par amas, gisent collectivement et meurent par grappes. Ce petit drame se joue aux lisières des « touchables » qui très peu concernés vivent benoîtement tout en gardant pour eux une légère bonhomie replète.
Du côté des bestioles, les araignées voraces tendent des toiles et mangent les derniers papillons. Sur le sol des restes de petits oiseaux s’étalent. Les aigles sont passés par là. La compassion n’est finalement pas très indienne.

2 mars.- Frémissement printanier. (14°C) Agra, admirable Fort Rouge, sublime Taj Mahal (je confirme). Palais abandonné et mausolée impassible avec des vaches sacrées qui tournent autour, certaines énormes, toutes blanches avec un air penaud, d’autres plus sybarites, avec des pattes en surplus, cinq, six pattes, voyez-vous…
Viens Bénarès, ville sacrée, ville des ablutions, des crémations… avec ses fakirs en bord de Gange et des bûchers se consumant sur les flots. Loti décrit tout cela admirablement, dans une prose saisie par les lieux, avec des mots colorés, capiteux et des phrases enivrantes qui vous donne l’impression d’être tout à fait indien.
Pierre Loti et l’Inde derrière moi, entamé Gagner à en mourir, émouvant « petit livre » à tendance sportive de Pierre Louis Basse (le livre est petit, mais le sujet conséquent) .

4 mars.- Du gris, du vent. (8°C) Neurasthénique, déprimé, enfoui sous une tonne d’insatisfaction. Ne travaillez jamais, vraiment jamais.

6 mars.- Soleil. (12°C) TA = 16.4/10.4, pouls 63. Un peu tendu. Choses qui ne font que passer « Un bateau dont la voile est hissée / L’âge des gens / Le printemps, l’été, l’automne et l’hiver »

7 mars.- Soleil voilé, douceur. (15 °C) Il n’y aura pas vraiment eu d’hiver – des amorces tempétueuses, de l’humidité, guère de frimas – et voilà que quelque chose de printanier flotte déjà dans l’air. Trop tôt ? En attendant, j’ai les vertèbres cervicales bloquées et je ressemble à un Éric Von Stroheim au rabais.
Fini le livre de Pierre Louis Basse, émouvant avec ses arpents communiste floué, mais vraiment trop décousu à force de digressions mousseuses. Entamé Roseanna de Sjöwall et Wahlöö, premier volume du fameux couple suédois et première enquête de Martin Beck le prototype de tous les Maigret boréaux (Kurt Wallander, Erlendur Sveinsson…) On retrouve le cadavre flottant d’une jeune fille. Des poils aux jambes. Des poils noirs où vous pensez. Un bassin large et un postérieur en conséquence. Des seins petits et flasques. Martin Beck enquête tout en fumant beaucoup. Pilosité, chair froide et tabagisme. Nous sommes bien en Suède au mitan des années 60.
Fini chez Rolland Jaccard (La tentation nihiliste), jolie armoire à citation, as usual

8 mars.- Soleil, douceur. (16°C) Cervicalgie, lombalgie, gonalgie. Drôles de pays.
Toujours chez le « doucement nihiliste » Jaccard. Encore chez Maj Sjöwall et Per Wahlöö maitres étalons du polar scandinave. Tous ces trémas, que voulez-vous.

9 mars.- Ciel céruléen, grande douceur, printemps hâtif. (19°C) Fini le livre de Sjöwall et Wahlöö. Haletant avec pas grand-chose (l’art de la filature), technologique avant l’heure légale (importance du téléphone à cadran, de la photographie). Le coupable est convenablement réussi.
Jaccard, Suisse en bien, me donne l’envie de lire d’autres Suisses en bien. Francis Giauque, Crisinel, Schlunegger (tous suicidés), c’est déjà ça.

10 mars.- Quelques nuages, douceur. (18°C) Ma barbe pousse, j’aime assez la caresser en prenant des airs inspirés.
Picoré deux, trois pierres chez Roger Caillois. Fricoté avec quatre, cinq neurasthéniques chez Roland Jaccard. Rien de plus.

13 mars.- Soleil voilé, pollution, « smog alerte ». (19°C) Trop plombé par le labeur pour espérer sautiller plus que ça. Même la Vie sexuelle des tritons, de Robert Benchley, n’est pas parvenue à me dérider, c’est vous dire. Résigné, soumis à mon manque d’entrain je suis retourné dans les cahiers de Cioran, plus concordants avec mon humeur du moment : «  il y a vingt-trois ans, j’ai écrit tout un livre sur les larmes. Et depuis, sans en verser une seule, je n’ai cessé de pleurer »

14 mars.- Soleil voilé, smog again. (17°C) La vie étant globalement assommante, il faut savoir la remplir plaisamment au risque de se retrouver plus estourbi que sautillant.
Petit tour chez Roland Jaccard, accort zélateur de pessimistes grincheux. Demain j’entamerai L’éloge des voyages insensés de Vassili Golovanov, que je pressens, bon voire plus…


2.


15 mars.- Soleil flottant sur un lit de smog bleuâtre. (16 °C) Très apprêté par des tracas hors lecture. Les notes qui suivent seront donc faiblardes et embrouillées

Je viens d’entamer L’éloge des voyages insensés de Vasili Golovanov et je l’aime déjà beaucoup. Petit gout Nicolas Bouvier, Bruce Chatwin accentué slave, arrosé de vodka. Golovanov crée son « ile » en l’assemblant à partir de ses rêves, de fragments de récits bourbeux et de digressions mousseuses. On remonte le fleuve Petchora vers le nord, l’extrême nord (récit frôlant quelque chose du Conrad blafard en pleine déglingue soviétique) et nous voilà à Narïan-Mar riante bourgade subarctique. Tout est gris et limoneux, le vrai sujet du livre : l’île de Kolgouev est encore 110kms plus au nord.

16 mars.- Beau ciel IKB. Air smog′less et moins picotant.(17°C) Hier soir « vie sociale alcoolisée ». Encore embrumé. Poursuivi la lecture de l’Éloge des voyages insensés face au soleil, dans un bel élan antonymique. L’île de Kolgouev est si grise, limoneuse, morose en pire – cet après-midi mon semblant de jardin était si lumineux, presque sautillant, les oiseaux y gazouillaient comme en avance sur un printemps déjà presque déjà là. Cela dit au détour d’une page, entre deux collines, par hasard il y a dans le livre de Golovanov, un creux d’air tiède, inattendu, miraculeux où flotte un subtil arome de pollen, des feuillages vert profond, un éclat bleu et rose, l’aile d’un papillon extirpé du limon ambiant. Ce miracle ne dure pas, c’est la nature des miracles que de ne pas durer, l’humide-froid et la désolation d’un été subarctique reprennent assez vite le dessus : la toundra n’attend pas et les sentiers perdus du nomadisme Nenets nous emmènent tout droit vers un espace libre, vaste et froid : le cosmos. L’expédition peut vraiment commencer : « C’est pourquoi je peux rien dire de précis sur le but de notre expédition : il apparaîtra lorsque tout ce qui va nous arriver, tout ce que nous allons vivre aura poli nos sentiments jusqu’à les rendre aussi limpides qu’un miroir. Vous saurez alors quel était notre but : un reflet. »

17 mars.- Beau temps. Néanmoins soleil trop bas, la saison. (19°C) Les Nenets sont un peu excentriques. Lors des noces ils offrent la langue et le cœur cuits d’un renne aux nouveaux époux afin que ceux-ci n’aient plus qu’une seule langue et un seul cœur à partager puis ils gambadent dans la toundra, sautillent sur la tourbe, valsent entre fougères et météorites calcinés par les vents solaires, ils sont d’une autre planète.
Quant à Vasili Golovanov, il avance chichement un lourd sac au dos et de hautes bottes au pied. L’argile glutineuse, l’humidité prégnante. Sa « randonnée » n’est pas si évidente, mais le paysage est magnifique (tout comme le livre qui l’est vraiment plus que ce que j’en dis) : « Et alors ? dira-t-on peut-être. C’était quoi, la récompense ? Et le sens, c’est quoi ? Tu as dit que cette nuit fut extraordinaire… Je réponds : oui elle fut extraordinaire. Elle fut miraculeuse. Mais comment raconter un miracle ? Le miracle n’apparait qu’à celui qui vient à lui, seul. Et le sens, ce sont le rythme et la couleur. Le rythme et la couleur de l’espace sont le sens, le but et la valeur. Parce qu’en lui réside la force. Parce qu’il est souverain…  »

18 mars.- Soleil voilé, vent léger. (20°C) Mes voisins sont d’incorrigibles bricoleurs ! Celui de droite moins que celui de gauche puisque cet après-midi il s’est contenté d’une perceuse tandis que son homologue s’escrimait avec une pelleteuse (oui une pelleteuse, ni plus ni moins !) Si à ces deux là j’ajoute l’horrible mouflette qui a eu l’outrecuidance de gigoter trente fois devant ma fenêtre en traînant une carriole en plastique vous comprendrez aisément mon agacement. Allez lire dans de telles conditions !
Devant tant de brouhaha il m’a fallu prendre des mesures frôlant le drastique : deux boules Quies dans les oreilles, une concentration de tous les instants et une sagesse quasi extrême-orientale m’ont permis de finir l’Éloge des voyages insensés de Vassili Golovanov. Ce ne fut pas pour rien, car ce livre est vraiment merveilleux. Admirable patchwork, fait d’ethnologie, d’autofiction, d’histoires trouvées en chemin…Des chapitres longs et explosés sur des dizaines de pages, une œuvre aussi inextricable et complexe que la toundra qui l’a engendrée… Et puis cette pâte humaine toujours là, ce côté russe, il faut bien le dire…
P.-S. Le livre n’est pas vraiment fini, il reste quatre-vingts pages d’annexes, presque un second ouvrage que de lirais à l’abri des nuisances, dans un endroit plus calme et mieux situé.

19 mars.- Cet après-midi le ciel était certes joliment ecchymose, mais le soleil trop bas. Il a fallu que je joue avec lui pour ne pas me retrouver plus que de raison à l’ombre d’un toit malencontreux ou d’un arbre en pleine croissance. Gymnastique à vrai dire assez compliquée avec pour seuls agrès une chaise de jardin légère facilement déplaçable et deux, trois coussins rehausseurs (je suis très grand, mais assis, moins) (16 °C)
C’est grâce à ces habiles subterfuges que j’ai pu finir la Tentation Nihiliste de Roland Jaccard, au tiède, face au soleil… En définitive ce livre assez court est un agréable petit manuel introductif aux fondements de la pensée nihiliste. On y croise des gens très bien : Schopenhauer et Nietzsche, Amiel et Leopardi, Schnitzler et Freud… Des nihilistes dandys et sautillants d’autres plus geignards et renfrognés… il y a aussi Cioran (Cioran est un ami), le cheval de Sissi (qui s’appelle toujours Nihiliste), Sissi elle-même et son meurtrier ce Lucheni, cet anarchiste en pire qui ne savait pas qui il tuait vraiment, un sombre idiot qui déçu de ne se voir exécuté se pendra plus tard. Sa tête est conservée dans le formol on peut la voir au musée d’anatomie pathologique de Vienne. Ce sera sans moi.
Tom Wolfe gigote sur la face un brin clinquante du « nouveau journalisme », Joan Didion se contente de la face cachée, de cette ombre où elle peut durer avec elle-même plus qu’avec quiconque. J’entame Amérique, recueil paru il y quelques années en France. C’est un drôle de cadeau. 1967, les fleurs déjà fanées du Flower Power. San Francisco et ses communautés hippies. Politique, spiritualité de pacotille et drogue à gogo… Des petites poulettes tournent autour du Grateful Dead (quelle drôle d’idée), Jim Morrison fait son intéressant en pantalon de cuir. Bizarrement alors que tout devrait être joyeux et coloré, tout est morne et gris avec un gout de mort qui picote et monte. Black Panthers, Sharon Tate et Charles Manson. Les fleurs fanées du Flower Power avalées, digérées, vomies… Didion restitue tout cela dans des phrases courtes qui ne sont jamais là pour juger, mais pour constater. Disons que le constat est terrible.

20 mars.- Quelque chose de printanier, soleil voilé, vent léger. (21°C) Longue séance de psychogéographie outdoor où je me suis perdu pour mieux me retrouver face à un soleil globalement à ma mesure. C’est donc en vrai plein air que j’ai poursuivi la lecture de L’Amérique de Joan Didion. Ce spicilège de bidules journalistiques comme on en fait plus est vraiment très bien. Patty Hearst, son enlèvement, son petit syndrome de Stockholm et sa toute nouvelle maitrise des armes à feu… John Wayne et son cancer terrassé… Des affaires criminelles foisonnantes et une Amérique inquiétante, très inquiétante…
L’ombre là je suis rentré chez moi.


3.



21 mars.- Chape nuageuse, quelques gouttes éparses, température en baisse. Winter returns ? (14°C) Not in the mood.
Il y a une autre Californie, celle des heures passées à traîner près des stations-services, des pactes suicidaires conclus dans les drive-in. Cette Californie c’est la Californie de Joan Didion. La Vallée de Sacramento n’y a rien de bien sautillant, elle est très plate et l’océan bien loin… Cela dit vrai bon livre…
Chez Allia plusieurs choses autour de la galaxie situationniste : les deux romans de Michèle Bernstein, une biographie d’Ivan Chtcheglov, ces textes rassemblés, la fausse autobiographie du totem Debord… J’entame La Tribu long entretien où Jean-Michel Mension se souvient de son enfance, de ses parents résistants, de Saint- Germain des Prés, de sa petite troupe d’amis alcoolisés, du vin et de la politique…

22 mars.- It’s raining out again. (13°C) The Fifth Woman, Wallender stage 6. Entertaining as usual. Nothing else

23 mars.- Giboulées de grêle, froideur. (7°C) Dreary like the weather. Toujours dans la sixième de Wallander, délassant… Petit tour dans la Tribu de Mension. En fin de dérive alcoolique les situationnistes s’échouaient sur le comptoir du Bar-bac . Ils y rejoignaient un Antoine Blondin tanguant, mais fortement amarré.

24 mars.- Ciel changent, fraicheur. (8°C) La Tribu. Mension. Situ. Chez Moineau. Vin et Éther. Filles aux cheveux courts. Revoir les premiers courts métrages de Debord (Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps, Critique de la séparation…) : « Tout ce qui concerne la sphère de la perte, c’est à dire aussi bien ce que j’ai perdu de moi-même, le temps passé ; et la disparition, la fuite ; et plus généralement l’écoulement des choses, et même au sens social dominant, au sens le plus vulgaire de l’emploi du temps, ce qui s’appelle le temps perdu, rencontre étrangement dans cette expression militaire “en enfant perdu”, rencontre la sphère de la découverte, de l’exploration d’un terrain inconnu ; toutes les formes de la recherche, de l’aventure, de l’avant garde. C’est à ce carrefour que nous nous sommes perdus… »

25 mars.- Averses, froideur. (6°C) Céphalées. Passé la journée dans une vague narcolepsie. Impossible de lire plus de trois lignes sans piquer du nez. Ce fut un problème. Lire les Memoires d’une fripouille de George Sanders.

28 mars.- Empty slot.

29 mars.- Nuages statiques, douceur. (18°C) Travaillé nuitamment.Fatigue. Guère d’entrain lectoral. Fini la Cinquième femme de Henning Mankell (pour l’instant le meilleur Wallender, je les lis dans un ordre tout à fait chronologique). Poursuivi La Tribu de Mension… Psychogeographie et éthylisme. Éthylisme surtout… et puis des destins… singuliers… l’alcool forcément.

30 mars.- Ciel gris-jaune, douceur relative. (17°C)The Tribe. La discussion avec Jean Michel Mension est somme toute très bien. Moins un Liptstick traces éclairé de l’intérieur qu’un écho au café de la jeunesse perdue de Patrick Modiano… Rien de tonitruant (nous savions déjà tout) plutôt une belle aubade nostalgique.
Constatation — je souligne. En dehors des écrits de Debord de quelques photos d’Ed Van der Elksen que reste-t-il de ces avant-gardes là (lettriste, situ et tutti quanti. ) ? Des « actes », une façon de vivre à côté, perdus délibérément dans de belles volutes alcoolisées. Des vies que l’on pourrait croire gâchées dans la déréliction pleine, entière et assumée … Toutes choses et façons assez éloignées des surréalistes, « précurseurs » éternellement vieillots, pleins d’œuvre et de compromission…

31 mars.- Soleil voilé. Douceur. (20°C) Comme Lionel Jospin je me suis retiré de la vie politique un soir d’avril 2002. Les élections se suivent, je les regarde de loin. Je crois comprendre que le pire avance, mais je passe outre… c’est ma vengeance que de passer outre.
Slight return in Stendhal’s diary. Le 3 aout 1810 est un jour remarquable in is life. Entaillé les Pensées d’un philosophe sous prozac de Frédéric Schiffter. Des airs d’opuscule sans conséquence par un philosophe balnéaire. Curieusement, tout cela m’inspire confiance.

1 avril.- Temps magnifique. Ciel céruléen et quasi-tiédeur. Petit vent qui au fil des heures tourne en bourrasques… inquiétude… un peu (22°C)

Stendhal, diary. Eté 1810, l’ami Beyle est de plus en plus empli d’anglicismes, le voilà happy there, and happy, tout cela est très chic, « l’heureux petit nombre » est ravi.
Lu quelques chroniques de Patrick Besson, pas vraiment mauvaises, un peu drôles,
3 avril.- Ciel ocre, semi-chargé, humidité relative. (15°C) Picoré chez Debord, Cioran et Gracq… drôle d’aréopage… Nothing else.

4 avril.- Des nuages, vent léger. (18°C) Le parisien ne prendra aucun plaisir à vouloir remonter la seine, c’est un faux fleuve qui sent l’huile de vidange, le médicament et les dégraissants industriels. Jean Paul Kauffmann, qui est bien plus malin qu’un parisien a donc choisi de remonter la Marne. Ce quasi-fleuve et cette vraie fausse rivière qui demeure campagnarde en ville tout en étant continûment garnie de capiteuses exhalaisons boueuses. Belle remontée pédestre 514 km de Charenton-le-Pont jusqu’au plateau de Langres et un livre rapporté ce Remonter la Marne (justement) que j’entame sans inquiétude.

5 avril.- Nuages, vent aigrelet, humidité. (15°C) En remontant la Marne avec Jean Paul Kauffmann je pense au « journal de marche » de Patrick Leigh Fermor, je pense au Danube de Claudio Magris aux reportages d’Henri Calet, aux merveilleux petits livres courtement voyageurs de Raymond Dumay. Kauffman quant à lui, cite Jacques Lacarrière et Gaston Bachelard. Il y a de pires références. En attendant, la remontée est parfaitement délicieuse, aventureuse en petit, avec des phrases qui vous feraient presque aimer Meaux ou Château-Thierry, c’est vous dire : « La rivière n’oublie jamais la source, car en s’écoulant, elle est la source elle-même. »

6 avril.- Temps splendide, printanier. (21°C) Poursuivi ma remontée de la Marne en compagnie de Jean Paul Kauffmann. Randonnée agréable, accorte compagnie et belle rivière. La Marne n’a rien d’un fleuve sauvage, mais elle est parfois un brin saisie par la nature. Juste avant Dormans elle se fraye un passage à travers une jungle d’arbres. Saules, chênes, érables, sycomores lui donnent un air tropical. La verdure plonge dans l’eau et les poissons sont ravis. Un peu plus loin, les coteaux de Champagne passés, elle ressemble à un petit Nil serpentant au milieu d’un désert céréalier.
Pour le reste, voyage parfait, on croise des Français ordinaires en bord de rivière, on boit du bon champagne. Kauffmann reste d’une belle équanimité et on ne lui en veut pas trop, bien au contraire. Pour rester en eau douce lu un chapitre du Fleuve Alphée de Roger Caillois. Beau livre de souvenir au style mineral.

7 avril.- soleil voilé. (22°C) Tracas domestiques. Not in the mood.
À partir de Saint-Dizier les rives de la Marne ne sont plus vraiment abordables. Propriétés privées, topographie alambiquée, la randonnée de Kauffmann s’éloigne un peu de la rivière. Éloignement pas si inutile puisque nous rentrons en contact avec le désert français, ses campagnes qui se vident, ses petites villes abandonnées par l’industrie… Un angle mort où se débattent quelques sourds résistants : un chien errant, un chasseur en autarcie… Ces rencontres faites, Kauffmann atteint le but de son voyage, le plateau de Langres et les sources de la Marne qui ont un léger gout de menthe (bon livre).
Dans la foulée lu Nagasaki court roman d’Eric Faye. Pas mal, un peu trop démonstratif. Deux solitudes qui se croisent sans jamais se rencontrer, ce genre-là.
Fini par une chronique de Vialatte.


To be continued


jeudi 9 octobre 2014

Bonnie Prince Billy - Singer's Grave A Sea Of Tongues (2014)


Cette « rentrée » n'a vraiment rien pour elle. L'air est encore un peu tiède, mais le ciel reste désespérément bilieux. Rayon musique Il y a bien des albums qui sortent, mais ils sont pour la plupart d'un intérêt quelconque (beaucoup de vieux chevaux boitillants sur le retour, rien de bien sautillant du côté des jeunes en couple slim/casquettes). De toutes les façons le rock est mort et il n'y a plus vraiment grand-chose à attendre de la « musique populaire », alors à quoi bon ? Restent deux trois choses vaguement intrigantes et parmi celles-ci cet assortiment de chansons proposé par Will Oldham. Vous allez me dire encore un disque de Will Oldham ? Je vous répondrais un gros OUI ! ( si cela vous pose un problème vous pouvez tentez de vous battre avec moi c'est où vous voulez quand vous voulez).  Celui-ci est presque parfait, notre barde barbu préféré du Kentucky y a une nouvelle fois l'outrecuidance de se reprendre lui-même, c'est une idée pas si idiote que ça, on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même. Nous voilà donc posés devant une collection de chansons que nous connaissions ailleurs – principalement dans l'album Wolfroy qui en passant par le tourniquet du changement de costume prennent une bien belle et toute nouvelle allure. Des arrangements plus conséquents, plus de confort, de jolies diaprures et moins de sécheresse pour un résultat tout bonnement épatant. Oldham ne semble jamais avoir chanté aussi bien, son murmure délicat, ce frisson modulé qui se brise dans de l' aiguë est de mieux en mieux. Toutes les ballades portées par cette voix magnifique sont formidables, quant au reste il n'est pas piqué des hannetons non plus. Pour vous faire une idée du toutim écoutez Whipped un raccommodage mid-tempo qui vous piquera le creux de la poitrine, une vraie « grande chanson bouleversante » qui aurait pu flotter dans le No Other de Gene Clark, dans ma bouche assez blasée ce n'est pas un mince compliment.