dimanche 24 octobre 2010

Future Islands — In Evening Air (2010)



Imaginez le comique de la situation : un disque vous fait un croche-patte et vous vous retrouvez là, les quatre fers en l’air, avec l'allure idiote que prend tout être vivant attaqué par du mécanique. Vous voilà donc à terre — on pouffe discrètement autour de vous — vos genoux, vos coudes sont écorchés, vos mains sont pleines de gravier. Tout cela n’est pas très grave, car au moment même où vous vous relevez une pointe de satisfaction vous remonte dans la poitrine ; cette pointe de satisfaction c’est la pointe la satisfaction du type qui c’est fait avoir par le bon mauvais tour d’un disque qui semble toujours lui dire : « Tombe et écoute-moi. Écoute moi vraiment et tombe, je suis bon, je suis insolite, je suis un peu ailleurs, alors tombe, idiot… »

Résumons :

C’est le second disque des Future Islands de Baltimore (Edgar Allan Poe y est mort) qui sont trois : J. Gerrit Welmers joue du synthétiseur (vaporeux avec un doigt), William Cashion de la basse (un peu beaucoup comme Peter Hook) et Samuel T. Herring chante… Pour simplifier les choses on dira qu’ils font un genre d’espèce de « synth rock » que leur musique est « ludique, mais imprégnée de détails subtils » qu’elle a quelque chose de théâtral et qu’elle a aussi une belle dette envers pas mal de choses : certains garçons coiffeurs d’outre-Manche, d’autres plus livides, la tradition synthétique américaine : The Units, les Screamers… Une fois que l’on aura dit tout ça, on n’aura pour ainsi dire rien dit, car si les influences flottent l’essentiel est ailleurs ; l’essentiel est certainement un peu dans cette basse mercuriale, assez dans ces synthétiseurs rouillés, mais surtout et avant tout dans la voix de Samuel T. Herring, dans l’incongruité absolue qu’il y a entre cette voix et la musique qui monte derrière ! Un baryton concassé posé au milieu d’un champ d’endives blafardes, Tom Waits chez Orchestral Manœuvre In the Dark (mais en mieux) Don Van Vliet chez les Anglais, le Bob Mould historique crachant ses tripes, mais sans sa guitare en V, Ian Curtis aussi un peu… La voix de Samuel T. Herring on pourrait en parler des heures : une sorte de chanter-parler débordé par la tragédie avec du sable dans le gosier… En l'entendant on a envie de se dire que l’on est prêt à aimer le broyé, l’écrasé, l’abrasif, le corrodant ; prêt à aimer le caustique, l'abîmant, le brûlant, le mordant… et on se chuchote après, et en sourdine, que si dans le futur Samuel T. Herring oublie un instant l’euphuisme de ses oripeaux synthétiques, avec cette voix-là : son or, il fera un vrai grand disque.

Ah ! oui juste une chose, les chansons des Future Islands sont toutes un peu blafardes elles parlent d’amours qui tournent au tragique ou de types qui meurent d’une crise cardiaque, elles sont donc parfaitement concordantes avec la saison…


samedi 9 octobre 2010

Pokett - Three Free Trees (2010)



Je ne parlerai pas ici d’un chanteur américain qui s’est tué en se plantant un couteau dans le cœur, je ne parlerai pas ici d’un autre chanteur américain, bricoleur et expérimentateur en chef. Je ne parlerai pas d’eux, car s’ils sont un peu là dans le fond du nouveau disque de Pokett (ce Stéphane Garry barbu et sautillant que vous devriez tous connaître), ils n’y sont qu’à l’état de couleur, de teinte ; rien de plus, rien de moins. De toutes les façons vous qui êtes malins savez tous très bien ces histoires de teinte et de couleur, vous savez aussi que les chansons ne tombent pas toutes seules quelles viennent toujours de quelque part, des autres sûrement, de soi, un peu quand même. On ne refera pas ici la longue histoire de la « soupe initiale » nécessaire à toute œuvre, cette maturation, ce mûrissement d’influences avec lequel tout artiste un peu altruiste (et futé) cuisine tout en étant lui-même. Donc si Stéphane Garry (qui est futé) cuisine très bien avec les chanteurs américains qu’il a écoutés, avec les « groupes à guitares » qu’il a aimés, il construit aussi très bien avec sa vie ; elle passe au-dessus et on la retrouve dans ses chansons… Il n’y a donc rien de bien étonnant à se retrouver dans ce troisième disque comme à l’intérieur d’un beau cheval de Troie ; un cheval de Troie sentimental, un peu mélancolique, légèrement ironique (un peu là oui) avec pour compagnon une petite troupe de musiciens habiles.

Bref, vous m’aurez compris, il y a beaucoup de plaisir à prendre dans ce Pokett-là (dans les autres aussi) c’est un disque franc du collier, un disque où Stéphane Garry ne pas fait pas son intéressant ou son mystérieux, il n’y a aucun effet de production, pas l’ombre d’un quelconque « travail prononcé sur le son » — autant de caches misères bien pratiques — il n’y que des chansons et un beau savoir-faire au service de celle-ci. Ces belles fantaisies powerpop que sont Someone You know ou The Way Down avec leurs remarquables guitares batailleuses leur belle batterie non ostentatoire ont par exemple tout pour réjouir l’auditeur. Il y aussi ces accommodements délicats, centristes pour tout dire, qui sont ce qu’il y a de presque mieux à écouter ces temps-ci : A Sinking Island, Life a Knike, Livin in Here ou Happy The One des chansons qui expriment quelque chose du bonheur avec la simplicité, le savoir-faire, de l’artisan. On n’oubliera pas non plus les mots, les lyrics de Stephane Garry, des mots où l’anglophone moyen trouvera son compte, de l’humour avec ces trois notes en plus, de l’émotion à peine voilée, cette jeunesse qui pense que les choses sont toujours trop lentes à venir… Et puis le reste, le reste est important, je vous laisse deviner le reste… c’est un peu une histoire de cœur. Stéphane Garry est bien là, sautillant, tendre et mélancolique, avec cette petite pointe dans la voix, on l’aime beaucoup.

À Frédérique