dimanche 12 septembre 2010

Sun Kil Moon — Admiral Fell Promises (2010)


« No, this is not my guitar, I’m bringing it to a friend / No, I don’t sing, I’m only humming along / Up here in the air, mumbling at the clouds. »

Bizarrement depuis plusieurs mois la musique n'a presque plus aucun effet sur moi. Je me suis bien laissé tenter par quelques « nouveautés », mais elles m'ont toutes laissé tellement froid qu'à leur écoute j'ai parfois eu l'impression d'avoir une pierre glacée coincée à la place du cœur. En fait, je n'ai vraiment été « saisi » qu'en écoutant du vieux, voire du très vieux : des bluesmans grésillant, des cantors du début du siècle dernier, Oum Kalthoum, des 78 tours japonais contaminés par Hawaï, Jim Reeves ; rien de moderne ou de supposé moderne... Il y a une seule chose récente qui soit parvenue à m'émouvoir un tout petit peu c'est le nouveau disque de Sun Kil Moon. Oh ! il n'est pas si tonitruant que ça, mais Mark Kozelek parvient à y trouver une forme de détachement : le détachement d'une âme apaisé au-dessus de l’engourdissement et c'est déjà beaucoup.
Pour les instruments on se contentera d’une belle guitare espagnolequi n'est plus que l'épure de ce que fut autrefois la musique de Kozelek (des ballades engourdies par les neuroleptiques, des ballades qui basculaient dans de brefs passages furieux…) Donc pour les instruments rien de plus cette belle guitare espagnole (avec deux trois bruissements dans le fond). Pour « le reste » une voix toujours et des chansons encore. Des chansons inspirées par les lieux que Kozelek traverse et par les personnes qu’il y croise — ou, du moins par certains lieux qui lui permettent de faire renaître des personnes qui ne sont plus là. Généralement ces lieux sont situés près de San Francisco (Half Mohon Bay, Sam Wong Hôtel dans le quartier chinois…) Kozelek regarde sa ville, et sa ville alimente ses souvenirs, ouvre sa mémoire. Il peut par exemple se promener seul en bord d'océan et esquisser les détails fugitifs de ce qui l’entoure : la baie, la présence rassurante des bateaux, les goélands… Puis l’impression aidant, les souvenirs remontants, il peut se rappeler d’un amour perdu, du passage du temps et du calme factice qui vient avec… Une fois rentré chez lui derrière sa fenêtre avec une 
familiarité un peu  affectueuse il n’a alors plus qu’à saisir sa guitare — cette guitare il l’aime pour les sons qu’il en tire, mais aussi pour sa forme, son galbe, la surface et la nature de son bois — les arpèges sont là naturellement, les chansons aussi et Kozelek peut flotter au-dessus. Le disque qui n'est que  la trace de tout ça est très bien, un peu monochrome, mais très bien, vous pouvez l’écouter ou pas ce n’est pas très important, de toutes les façons la musique ce n’est pas très important…

* Kozalec a beaucoup écouté le virtuose Croate Ana Vidovic.


dimanche 5 septembre 2010

Del Shannon - The Further Adventures of Charles Westover (1968)



De Del Shannon le béotien ne connaît pas grand-chose, principalement la scie early sixties Runaway une sacrée rengaine avec piano concave, orgue caverneux (le musitron), voix dans les limbes et tout le tremblement… un titre qui peut se révéler à la longue plus adipeux qu’addictif. Si on ajoute qu’il y a toujours le souvenir de « Vanina », cette infâme version débitée chez nous par le bûcheron batave Dave, le béotien aura peu de peine à ne pas considérer tout ça comme du petit bois négligeable. Le béotien se trompera alors, le béotien se trompe souvent, car souvent il ne sait pas… En fait, Del Shannon était un teen-idol au timbre voilé et plaintif, à la voix posée très haut (un peu à droite de Roy Orbison dans les aiguës), une voix de faux adolescent mélancolique rattrapé par l’industrie… Pour s’en persuader, le béotien écoutera les chansons, ce sont de belles preuves… That's The Way Love Is , Broken Promises des slows epleurés , des twists tristounets ... En parlant des teen-idols le béotien devrait aussi savoir que Del Shannon fut l’un des seuls à perdurer en dehors de l’usine, l’un des seuls à savoir surfer sur le tsunami Beatles. Oh pas longtemps, le temps de deux trois albums mid sixties et de quelques titres produits par Andrew « Loog » Oldham , le temps de passer à travers, comme on passe au milieu d’un tunnel d’eau ou au cœur même du cyclone, après plus rien, plus rien, que de l’écume ; de l’écume et du calme.

On se concentrant sur l’écume plus que sur le calme on pourra néanmoins distinguer du conséquent, de l’homogène voire, voyez-vous, de l’harmonieux… Cet album de 1968 par exemple… Les autres aventures de Charles Westover ; des aventures psychédéliques avec de l’acide dans la gourde afin d’être mieux rassasié par temps tiède. On sent bien que c’est un disque où Dell Shanon veut être pris au sérieux et qu’à l’instar de deux trois autres teen-idols en mal de reconnaissance (Bobby Darin et surtout Bobby Vee…) il a bien écouté les Beatles et les Stones, qu’il n’est pas un has-been , que Timothy Leary est son ami et qu’il n’y pas plus lysergique que lui. En fait c’est un disque touchant parce que Dell Shanon n’est jamais vraiment dans son domaine, dans son territoire à lui, parce que cette pop psychédélique un peu fausse n’est en fait qu’une trame, une toile de fond qui ne s’imagine pas être à la hauteur de Sgt.Pepper's, parce que cette trame n’est même pas une imitation, mais plutôt une idée du psychédélisme (plus que du psychédélisme), sur laquelle on tisse des chansons, oui des chansons et même meilleurs que chez les majestés sataniques qui elles sont bien meilleures en mécanique et un peu surfaites en broderie…
Silver Birch et son tourbillon final comme du Berio pop, une histoire de femme abandonnée… Colour Flashing Hair des cheveux qui clignotent, des motifs de cuivres palimpsestes et en multiples couches, l'amour, l’obsession amoureuse décrite dans les lyrics, les strates de l’obsession amoureuse en fines lamelles, french horn en carpaccio… Be My Friend et son harmonica qui pleure sur un chœur gospel… River Cool surprenant comme du Love qui tournerait mal, le brouhaha d’un orgue malade… et puis deux titres : Gemini chanson pop déguisée psychédélique ou en grattant bien on retrouve l’usine, Magical Music Box sorte d’Eleanor Rigby sans le génie mélodique, mais avec tout l’attirail baroque : clavecin, quatuor à cordes et une voix si haute quelle doit être encore suspendue dans les nuages.

Ah ! oui pour en revenir à l’écume il y aura bien un autre album en 1981 Drop Down and Get Me produit par Tom Petty c’est un beau disque de Power-Pop palimpseste avec les Heartbreakers dans le fond. Ah ! oui, aussi, pour en revenir vraiment à Del Shannon, il est mort de trop de chagrin en 1990, sombre destin des faux adolescents mélancoliques, voilà.

mercredi 1 septembre 2010

Psychogeographie indoor (18)




1.

Selon le grand manitou en chef situationniste : Guy Debord, la psychogéographie étudiait les lois, et les contrecoups du milieu géographique sur le comportement affectif de l’homme. Cette ancienne toute nouvelle science prenait forme lors des dérives que ne manquaient pas de réaliser les situationnistes. On les voyait généralement avinés et en bande, traversant hâtivement des ambiances variées, zigzaguant à la recherche d’effets. Ces fameux effets naissaient du frottement que tout corps (tout esprit ?) crée nécessairement en traversant un milieu géographique donné : de l’architecture au mobilier urbain tout en passant par le sens de la circulation automobile.
Une fois trouvés ces effets étaient aussitôt baptisés : « effets psychogéographiques » et le tour était joué. La psychogéographie se pratiquait le plus souvent dans des villes de gabarit imposant (Paris, Amsterdam, Londres…) de préférence dans des quartiers peu prestigieux, non touristiques et habités si possible par des étrangers (des immigrés nord-africains, des exilés espagnols, des juifs parlant encore le yiddish, etc.) On concédera que si tout cela était très beau c’était aussi un peu compliqué pour le quidam qui attend l’autobus sous un chêne centenaire.
Aujourd’hui la psychogéographie est un peu désuète, elle est passée du côté de la nostalgie et du « ludique concerné ». Les vrais psychogéographes se font très rares, l’ivresse n’est plus de saison, les temps sont mornes et les villes sont grosses…


2.


Pour en venir vraiment à ce que vous allez lire plus loin il faut que vous sachiez que je suis le modeste inventeur d’une nouvelle forme de pyschogéographie : la psychogéographie en intérieur, en indoor voire en semi-indoor pour rester en semi-franglais. Cette nouvelle forme n’est pas si simple elle non plus. Tout d’abord en tant que psychogéographe d’intérieur je suis à part, je suis même très à part puisque je suis le seul de mon espèce. Ensuite comme mes illustres prédécesseurs il m’arrive d’être ivre, mais moi je ne supporte pas l’extérieur : le sinistre outdoor. Loin des villes et de leur « brouhaha sociétal », je reste donc le plus souvent caché dans mon cocon où tout en étant souvent las je dérive en très petit intérieur.
En fait si je suis psychogéographe, c’est seulement dans la mesure où ce qui m’entoure agit également sur mon comportement affectif. Les meubles (canapé, commode, bibliothèque) remplacent le mobilier urbain, le papier peint remplace les façades, les pantoufles remplacent les automobiles et les livres remplacent un peu tout le reste. En un sens et en tant que psychogéographe d’intérieur je suis un psychogéographe apostat et schismatique qui plus que Guy Debord ne se reconnaît qu’un seul vrai maître : Xavier de Maistre.

P.-S. Les plus courageux et persistant d’entre vous pourront lire la suite de ce pénible préambule dans un vrai livre palpable et quasiment commercialisé à cette adresse. Le prix sans être modeste restera abordable.