vendredi 18 juin 2010

Ratatat - LP4 (2010)



« L’expérience est une des formes de la paralysie »

Je ne voudrai pas échafauder une théorie fumeuse, mais j'ai bien l'impression que l'on tombe en ratatisme comme l'on tombe en amour. Oh ! je ne parle pas de cet amour chimérique qui consiste à aimer chez l'autre le reflet de ses propres sentiments, non je parle d'un amour sincère, hypothétiquement partagé et partageable - un amour de première fois - cet amour qui à ma connaissance aurait bien abandonné une bonne partie des quidams non ratatiens. On sait que pour l'essentiel ceux-ci ont perdu la plus élémentaire aptitude à éprouver la moindre « émotion profonde » , leurs cœurs ont la consistance rêche d'une pierre et pour les retrouver émus il leur faudrait à nouveau des premières fois. Donnez-leur des premières fois et ils seront émus à nouveau, en voie de ratatisation, espiègles et friables d'âme comme aux premiers jours de leur moment juvénile.

Les disques de Ratatat sont comme ça, identiques et semblables entre eux-mêmes, ils ont cette infinie capacité à bruisser comme un amour de « première fois », ils sont continûment vierges, frémissants comme un début, magiques dans le sens où ils ratatisent les non ratatiens, surnaturels dans le sens où tout en ne bougeant pas d'un iota ils renouvellent sans cesse leur capacité d'émerveillement.
Celui là, le quatrième, est encore rempli de cette candeur, plein de cette simplicité ingénieuse et de cette grâce enfantine qui fait toute la singularité ratatienne. Il y a toujours ces euphonies guitaristiques qui montent en flèche, ces textures 8 bits ensoleillées, ces airs construits avec des éclats de cristal et des bouts de métal - une drôle de marqueterie -. Sur tout cet artisanat sautillant Mike Stroud et Evan Mast (les deux ratatiens en chef) on ajouté un brin de « nouveauté », oh pas grand-chose : une talbox, une section de corde, deux trois vrais instruments, une guitare... Rien d'inquiétant, la musique de Ratatat est encore mobile et animée d'un mouvement secret; elle ne s'écoute pas, elle se boit toujours.

Voilà, je suis ratatien, nous sommes ratatiens et pour un peu le monde a bien tort de ne pas être plus ratatien que ça. End of story.



dimanche 13 juin 2010

Stuart Moxham - Fine Tuning (1995)



J’ai perdu de ma ferveur sautillante , je suis bien morne à présent. Tiens si j'avais encore un peu de souffle, d'inspiration et d'inclinaison bondissante je vous parlerai vraiment de musique, de Stuart Moxham par exemple... Mais non rien de tout ça, je suis las sans être là, vide et sans souffle, me contentant d'agiter les bras que j'ai fort longs, cherchant à expulser mon intimité substantielle dans des strophes autographes d'un intérêt plus que relatif. Tout cela est pathétique et n'est rien de moins que la piteuse plainte du condamné qui le front nimbé cherche une hypothétique grâce inspiratrice. Force est de constater que je ne trouve rien, que l'inspiration ne me vient pas, que je me désagrège, que bientôt je ne serai plus qu'un petit amas stoïque et non sautillant. Ensuite je ne serai plus rien, disparu, effacé, deleted...

Si j'avais encore un peu de ferveur sautillante, je vous aurais peut-être parlé des « jeunes géants de marbre », de la statuaire grecque antique, d'Alison Statton et de son détachement. Je vous aurais aussi parlé de ce disque : Fine Tuning, de ces « démos » enregistrées comme à la maison où on retrouve Stuart Moxham assis sur un canapé avec pour tout « matériel » une guitare en bois et quelques vieilles chansons des Young Marble Giants. La guitare est très bien, les chansons sont très bien, le disque est très bien...

Je ne vous parlerai pas vraiment de ce disque, l'élan m’a quitté, de toutes les façons il est possible que vous n'ayez jamais aucune chance de l'écouter un jour ce disque puisqu'il n'est pas trouvable en dehors de la flibuste condamnée par HADOPI. Sachez seulement, et pour éveiller une curiosité qui ne saura peut-être jamais comblée que les chansons de Stuart tiennent toutes très bien, même sans Alison, même sans Wurlitzer , qu'il y a toujours ce qu'il faut chérir chez lui : du Duane Eddy en mutting, du Steve Cropper étouffé, de la candeur labellisée Buddy Holly, du charme en pagaille... de la délicatesse...

Pour le reste, je ne sais pas si Stuart Moxham a perdu de sa ferveur sautillante, s'il est morne à présent. Visiblement non, il semble heureux, retiré dans la campagne anglaise avec sa femme et ses trois enfants, il est moniteur d'auto-école et membre d'un groupe de sonneurs de cloches, ce n'est pas rien. Il y a bien eu cette courte reformation des Young Marble Giants qui a réjoui les nostalgiques de la nostalgie, il y a bien quelques albums de temps à autre, c'est déjà beaucoup , de toutes les façons, inspiration ou pas, Stuart Moxham vit et c'est toujours ça de pris.



P.-S. Merci à l'impeccable Pol Dodu secret inspirateur de cette faible notule.

jeudi 3 juin 2010

Remake / Remodel N°15



« Solange me répétait souvent, ces derniers temps, comme à peu près chaque année vers la mi-avril, qu'il allait falloir bientôt se méfier de la douceur de l'air. Surtout ne pas s'abandonner, ne pas se laisser aller à la nostalgie de l'amour et des caresses, car alors on est foutu. Foutu, tu comprends, Jérôme? Elle aimait me parler cachée derrière les vieux rideaux en velours vert de la salle à manger. Sa voix ne me parvenait qu'assourdie, lointaine, comme celle d'une morte déjà, mais chaque mot se gravait dans ma mémoire. Oui, poursuivait-elle, mieux vaut respirer l'odeur infecte des canaux, eux au moins, avec leur eau croupie et toutes les saloperies qu'elle charrie, ne mentent pas. Que le printemps crève, qu'il ne revienne jamais. Monsieur Cloret s'est tourné vers moi et m'a demandé sur un ton faussement détaché si j'avais fini de me moquer de lui et de sourire stupidement aux anges. Comme je ne répondais pas, il m'a regardé longuement sans rien dire, au début avec une certaine indulgence, puis de plus en plus froidement, sans parvenir à masquer sa haine. Alors, toutes les fleurs noires, là-bas, dans les champs, sous les troènes, se sont mises à trembler de rage. Il tortillait nerveusement sa moustache, elle rebiquait légèrement vers le côté droit, et cela me donnait une folle envie de rire, vers le côté droit, ou gauche, je ne me souviens plus très bien, comme un crochet ou un doigt méchamment recourbé pour griffer, et si sa moustache avait rebiqué des deux côtés à la fois, on aurait dit un fer à cheval ou une petite barque qu'il aurait maintenue en équilibre sur sa lèvre supérieure, une petite barque d'un jaune délavé, vraiment ridicule, alors j'ai éclaté de rire car une odeur de gaufrettes chaudes entrait par la fenêtre. Vous êtes grotesque, m'a-t-il dit, tout à fait grotesque, une sorte d'épouvantail, seulement voilà, vous ne faites plus peur à personne, bien au contraire, tout le monde se fout de vous, vous êtes la risée de la ville. Il semblait absolument hors de lui, l'odeur des gaufrettes avait l'air de le rendre fou, il ne devait pas supporter la moindre odeur, sans doute aurait-il voulu vivre dans un monde tout à fait neutre, inodore, incolore, sans souffrances, sans sensations, sans le moindre sentiment, et dès que la vie se rappelait à lui, insolemment, ou au contraire, comme c'était le cas aujourd'hui, d'une manière relativement discrète, il devenait volontiers agressif. Grotesque, tout à fait, Jérôme Bauche. Vous devriez avoir honte. Honte, Jérôme, vous devriez avoir. Votre vie sur terre n'est absolument pas justifiée, alors vous devriez tout de même faire un petit effort pour que l'on vous oublie, ne croyez-vous pas, Jérôme, m'entendez-vous, Jérôme Bauche, je dis cela dans votre intérêt, et non pour vous blesser. J'ai eu brusquement peur que monsieur Cloret ne s'évapore par la fenêtre ouverte, comme une petite fumée malodorante, et que l'on m'accuse du crime. Alors, sans doute, on me ramènerait là où l'on m'avait déjà mis si souvent. J'ai pensé avec horreur aux sales fleurs noires, vicieuses, pleines de poison, là-bas, dans les champs, sous les troènes, les enfants les coupent en pleurant parce qu'ils s'écorchent les doigts, et s'ils reviennent les mains vides à la maison, ils passent un mauvais quart d'heure. Mais les aubépines n'étaient pas encore en fleurs. Pourtant elles auraient dû, à cette époque de l'année. Mais non, elles ne l'étaient pas, sans doute parce que les choses n'étaient plus comme elles auraient dû être, pour des raisons qui m'échappaient, roses ou blanches, c'était ainsi qu'on les apercevait autrefois dans la campagne, et odorantes, leur parfum était si fort qu'il faisait venir les larmes aux yeux, surtout le soir, quand je me sentais encore plus seul que d'habitude et que je continuais à traîner dans la campagne, bien après que les enfants sont rentrés de l'école. Honte vous devriez avoir. Honte, honte. Monsieur Cloret me désignait du doigt, comme un objet bizarre dans une vitrine. Il essayait avec obstination d'inscrire le mot honte sur mon front, de me marquer comme on le fait avec le bétail. Je le regardais sans rien dire, cela semblait le mettre encore plus mal à l'aise que si j'avais été insolent, de grosses gouttes de sueur perlaient sur son front et il me répétait avec de moins en moins de conviction que j'étais grotesque. Je lui ai demandé s'il voulait voir mamame, non, il ne voulait pas, et d'ailleurs, à quarante-deux ans passés, je devrais quand même cesser d'appeler ma mère mamame, c'était absolument ridicule, est-ce que j'en avais conscience? »