vendredi 6 février 2009

Chambre Verte - Lux Interior

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Philippe L a dit…

LOS ANGELES, correspondance Philippe Garnier

«I wanna leave a happy memory when I go/ I wanna leave something to let the whole world know/ That the rock’n’roll daddy has a-done passed on/ But my bones will keep a-rockin’ long after I’ve gone» («Je veux laisser un bon souvenir une fois parti, Un truc pour que tout le monde sache Que le rock’n’roll daddy a trépassé Mais que mes os continueront à balancer bien après que je serai parti»). Ainsi chantait Lux Interior, le rock’n’roll daddy, si tant est que les daddies portent talons aiguilles sur scène - et grimpent jusqu’au balcon avec.

Lux Interior est mort à 60 ans mercredi matin avant l’aube dans un hôpital de Glendale, en Californie, de maladie cardiaque. Depuis leur apparition au CBGB en 1976 jusqu’aux derniers concerts à la fête de Sunset Junction dans mon quartier, qui était le leur avant d’aller planter leurs choux derrière le cimetière de Forest Lawn à Glendale, on se sera frôlés de plus en plus épisodiquement, durant trente ans. La dernière fois que Lux est passé, il avait les cheveux teints en blond et des «winkerpickers» pointues en autruche. Je n’avais pas vu les Cramps depuis dix ans. La première chose qu’ils ont annoncée, c’est qu’ils prenaient une année sabbatique, ce qui m’a fait rire sur le coup (vu leur productivité pas exactement stakhanoviste) et moins à présent.

«Peigne». Lux et Ivy étaient les Cramps, le reste était rotation de personnel. Ils étaient le nerf moteur, car les Cramps étaient plus un style de vie qu’un groupe (d’où la production et les concerts au compte-gouttes), et la vie… ça occupe, ça prend du temps. Les Cramps étaient ce couple vivant le rock’n’roll, pas tant en tournées que chez eux, entre eux. Ils s’étaient créé un monde tellement chouette autour d’eux, c’était tellement Noël tous les jours, que les Cramps n’avaient plus forcément envie de sortir. C’est en chinant ou papotant avec eux dans les rues de Los Angeles que j’ai appris que le rock’n’roll (Lux ne disait jamais rock) était tout sauf de la musique. C’est ce qu’on mettait dedans. Ils ont passé leur temps à fuir les catégories, même si on les a catalogués psychobilly à vie. Ils étaient à la base rockabilly, et quand ils appelaient leur deuxième album Psychedelic Jungle, ce n’est que parce que leur conception du rockabilly englobait ça aussi.

Selon une citation mémorable de Lux Interior, né Erich Lee Purkhiser à Stow, Ohio : «Le rockabilly, c’est pas Robert Gordon, c’est pas Bill Haley, le rockabilly c’est pas UN PEIGNE. Le rockabilly c’est un esprit, tout ce côté inattendu, incontrôlable…»

Champignon. Incontrôlable, Lux continuait de l’être, même au bout de trente ans. Chaque «môme» a une histoire de Cramps passant dans leur ville, que ce soit Pigalle ou Motor City. Tenue d’Eve sauce ketchup à l’Eldorado. Vol plané à San Diego. Ses dents en or sur le devant, Lux Interior les avait gagnées à turluter trop de micros. On dit toujours que James Brown était le plus gros bosseur du show business ; ça veut juste dire qu’il bossait tous les jours. Mais Lux se démenait encore plus que lui sur scène. Cette furie qui le prenait, cet oubli du danger ou des «responsabilités», étonnait d’autant plus quand on le connaissait dans la vie. Il était la gentillesse personnifiée ; son enthousiasme, débordant et contagieux. Un souvenir parmi d’autres : août 1982, quand ils avaient repoussé les sessions d’enregistrement au studio Gold Star parce que Nick Knox était devenu aveugle au champignon. Lux Interior avait fait des bandes pour une émission de radio libre. Lux passant les Troggs faisant des publicités pour la bière Miller’s, entre les Swamp Rats et Jack the Ripper, par les One-Way Streets. Lux mimait. Il était 5 heures du matin. Malgré les ans, la fumette et autres, on peut dire que Lux Interior ne s’est jamais calmé. L’an dernier encore, il vandalisait ma salle de bain au dentifrice.

http://www.liberation.fr/culture/0101317423-lux-interior-s-eteint