dimanche 22 juin 2008

Psychogéographie Indoor (7)



L’air hagard, un peu froissé, je me suis réveillé ce matin avec une appétence visqueuse et presque têtue, avec même, chose incongrue, une envie incompréhensible, de ne pas arpenter ma bibliothèque ! Il faut dire que la saison est enfin là, que la force de Coriolis respecte enfin les consignes et qu’une chaleur grasse et musquée passe par les fenêtres. Cette vigueur pleine d’inertie qu’est l’illustre force susnommée plus haut remuant orthogonalement à la direction de toute chair, cette chair bourlinguant dans un milieu (un jalon) lui-même en circonvolution glabre, tel que vu par un quidam partageant le même jalon, je me suis donc décidé à psychogéographer outdoor plus qu’à mon tour. Chacun sait que la force de Coriolis circule toujours autour d’un creux, profitons-en me dis-je, quittons le lointain intérieur, l’espace du dedans, cherchons une clé pour l’horizon ! L’embarras, car il y a embarras, est que la force de Coriolis à la déplaisante habitude de dévier vers l'ouest tout quidam lancé verticalement vers le ciel, et que sournoisement elle dévie vers l'est tout quidam qui choit. Intuitivement, on s’imagine sans peine alors que les deux déviations sont opposées et s'annulent, ce qui fait que le quidam retombe exactement à son point de départ. On parle alors de Boulet de Mersenne, un vieux problème de mécanique newtonienne. C'est ainsi, il faut bien s'en convaincre : la gravité est toujours par-là céans, même quand il fait beau et que s’éternise un parfum de velours… Voilà pourquoi après avoir senti la courbure de la terre, la mine songeuse cette fois ci, ombre d’un ombre qui s’était enlisée dans le soleil et le musque, je me suis décidé à retourner psychogéographer en intérieur avant que de me retrouver le nez, comme la pomme, dans le gazon. Bientôt revenu à ma base et encore épais d’une chaleur prégnante, je n’ai cependant pas vraiment retrouvé les livres illico, je me suis autorisé à les regarder et à regarder ce qui dans ma bibliothèque les effleure, les caresse voir même parfois les chatouille. Toutes ces choses qui accompagnent les livres sans vraiment leur faire une concurrence qui ne saurait de toutes les façons être crédible et à leur niveau. Des photos, des bibelots, des souvenirs, cet accompagnement qui se veut le moins fade possible mais qui, parfois, sombre dans la morne futilité des colifichets palimpsestes…



Des photos, des bibelots, des souvenirs…. Un Bouddha au bedon proéminent en bois rigolard, un livre de photographies florilège de l’agence Black Star, ouvrage lourd et massif posé verticalement, debout et en déco, soixante ans de journalisme et de photographies dedans, sur la couverture un JF Kennedy assis, raide avec son mal de dos. Devant tout ça, touchant la bedaine de notre réjoui Bouddha évoqué plus haut, il y a un petit livre rouge acheté un jour de soleil tapageur sur la place Tien An Men. Frôlant les pensées du président Mao un couple de Maracas, souvenir encore humide de La Havane. La Havane son front de mer corrodé, ses havanaises irriguées et cambrées, terriblement irriguées et cambrées… Refroidissons, refroidissons... Tenez plus loin il y a un petit éléphant rajasthanais en ivoire, un micro-chevalet en stuc portant un petit tableau tout autant en stuc avec le Le Golden Gate Bridge peint et posé dessus ; souvenir de San Francisco, sombre mystère, vertige, je ne connais pas San Francisco, mais je sais nager… Continuons, continuons ! Un casque vert et indubitablement Vietnamien, un coquillage, plus lactescent que nacré, extrait de la mer des caraïbes. Quatre pierres de laves ramassées sur les pentes de l’Etna, un caillou anthracite de Carélie. - Soit dit en passant la carélienne est très belle ; une peau pâle, des yeux d'eau plus que bleus et des cheveux d’or -. Mais voilà bientot Frank Sinatra, en studio, la main sur le cœur… Gene Tierney fugueuse loin de Shanghai Gesture, Gene Tierney déroulé sur le canapé de Laura, Gene Tierney, Gene Tierney ….. John Coltrane et Rainer Maria Rilke. Marilyn attisant sa bouche de métro, l’illustre scène vue de biais. Deux mugs Campbell Soup raffinés par Warhol. Une petite boite en cèdre de Chine, quatre euros et cinq centimes dedans. Un petit totem à cinq dollars quatre vingt dix neuf cents canadiens. Une carte postale allongée dupliquant calmement l’impeccable Nighthawks de l’impeccable Edward Hopper le tout dispensé par la grâce d’une ex-hypothétique amoureuse. Deux cigares cubains de contrebande conservés dans deux tubes à essais en pyrex. Le souvenir de deux charmantes cubaines à l’abri d’un cadre jaune vif. Une Mercedes Benz 300 SL (1954) à l’échelle 1/24 achetée sur l’autoroute entre Milan et Turin. Et puisqu’il faut toujours en revenir à ça ; trois livres en pleine tentative d’évasion. « La Poétique de la rêverie », « Le parti pris des choses », « L’espace du dedans ». Bachelard, Ponge et Michaux, des évadés, des amis… .



Ah ! J’oublie, cessant d’arpenter ma bibliothèque d’un orbe rapide mais néanmoins flapi, mon regard c’est prudemment posé sur la table basse où l’évadé, déjà fugitif, Jacques Casanova De Seingalt et ses mémoires sont moelleusement déployés depuis quelques jours. Des souvenirs enlacés et véloces, toujours très véloces, secs et moins graisseux-baroque que chez le zélateur des rainettes gluantes Fellini. Toutes les histoires ne notre ami vénitien, agissent perpendiculairement et sans retomber nul part, c’est pourquoi il y a beaucoup de plaisir à prendre à leur lecture. On retrouvera le castrat au clitoris colossal, les bords de Corfou, Mantoue la putride, Rimini : « Maussade comme un attentat mal réussi » (là je cite André Suares). Casanova secoue ce que tout romancier cherche à ébranler : faire de sa vie un roman. Alors que les autres imaginent les vies qu’ils n’ont pas eues, lui, peut affirmer en frémissant : « ma vie est ma matière, ma matière est ma vie » drole de matière, drôle de vie. Evidemment, il y a beaucoup de fantaisie, de broderie autour de tout ça (on mélange, les dates, les lieux, les sexes…) La vie est un roman mais plus qu’ autofictif : autour de la matière. Et bien voyez-vous que pour finir, voilà c’est cela, Casanova a bien raison de ne pas hésiter à tourner autour de la matière, elle est toujours tangible, comme la météo, la matière. Il nous reste à frémir.

1 commentaire:

Philippe L a dit…

http://fr.youtube.com/watch?v=v-eXfErplrs