mardi 8 avril 2008

Journal d'Alexandrie (4)

« On peut collectionner aussi l’infirmité. On en trouve un très bel exemple dans les romans sur Alexandrie de Lawrence Durrell. Il y a là un vieil Irlandais, résidu d’un siècle troublé, qui finit tristement ses jours dans la basse police égyptienne, attaqué par des essaims de mouches parmi les bouteilles de whisky par une chaleur de 46 à l’ombre. Il est rongé par une cirrhose du foie. Le matin quand il se réveille, il s’étonne d’être encore en vie. Ensuite il se réunit lentement : il met ses dents, son œil de verre, son bras de cuir et sa jambe en bois. « Ce matin, dit-il, je me suis levé comme un lion. »… » Imaginez mon étonnement ! C‘est à l’ombre de la cathédrale de Cordoue; un raffiné bouquet de fleur d’oranger dans le nez, qu’ouvrant mon Vialatte du soir, je suis tombé sur cette mince évocation du terrible Scobie ! Vous qui, comme moi, avez lu Le Quatuor d’Alexandrie vous devez connaître Scobie cet irlandais coquet inventé par Lawrence Durrell ? Oui souvenez-vous ! Ce vrai faux espion un peu pédé qui finira mort, raide, en semi travlo, dans une poubelle d’Alexandrie. Et bien sachez que Vialatte, mâchonne le mortel Scobie à sa juste mesure d’ animal en kit, certes avec son umour à lui, en omettant l’aspect folle sybarite et casque colonial mais en débâchant le coté « mécanique plaqué sur du vivant » du bonhomme. Vous me direz que je radote, que je m’étale et m’étonne pour rien et d’un rien. Le fait est que, pour en revenir à ce qui devrait nous occuper, je n’ai jamais terminé mon Journal d’Alexandrie ; or voyez-vous, j’ai bel et bien accompli et depuis longtemps l'escalade risquée de l’incontournable massif durrellien. Chose curieuse, hasard non coupable, c’est ici, chez Averroès, une chaleur de fin d’après midi encore sur la nuque, le vieux pont romain se reflétant dans le Guadalquivir comme il le fait depuis deux mille ans, et par la grâce de Vialatte que mon coupable oublie, subséquemment, a ressurgit tel un pénitent tout blanc ! Etonnant non ? Alors vous me permettrez ces quelques notes, oubliées et retrouvées, ânonnées et souffreteuses, sur le dernier volume du Quatuor d’Alexandrie : Cléa. J’avais omis Cléa il ne faut jamais omettre Cléa ! « Plutôt que le temps retrouvé, le temps qui passe, le temps délivré. Comment le temps agit, sur les âmes, les corps … pour la première fois dans le quatuor l’intrigue avance ce n’est plus uniquement un retour en arrière… fin merveilleuse et ouverte, amour de Darley pour Clea , piscine, mort, mort et piscine naturelle, mort naturelle ou pas , la mort c’est naturel, c’est l’essence de la vie… Durrell ne lâche jamais le monde des sentiments. Il y revient sans cesse, dans les hésitations.. dans le flottement nécessaire… dans les aspirations entre des êtres uniques et entrelacés… tout juste un peu plus avec le monde mais toujours dans la profondeur autrement plus vertigineuse de ce monde parallèle, le seul vraiment important, le monde du sentiment amoureux. Comme tout bon écrivain anglais : amour-haine de l’Angleterre, anglophilie transparente, anglophobie latente, « une nation qui a l'âge mental d'une vieille mémé » « les Anglais dont la vie affective est à peu près celle de braves hôteliers suisses » haine de la morale et du patriotisme, Et merde pour Albion Mère de tous les poncifs ! Le monde - que nous voyons toujours comme le monde « extérieur » - n'obéit qu'à l'introspection et à la décomposition de l’intime dans l’extime! Face à cette bizarrerie cruelle mais nécessaire, le poète interloqué remarque qu'il lui pousse une queue et des ouies pour mieux nager contre les courants obscurs de l'ignorance » Voilà, j’ai bien conscience que tout cela est pour le moins confus et éclaté, qu’il n’y a pas un grand intérêt à la chose, mais il fallait achever alors j’achève. Hormis ces faibles considérations qui n’intéresseront que moi, il faut savoir, chose étonnante, que la cathédrale de Cordoue est une mosquée, une mosquée et une cathédrale ou bien plutôt une vieille mosquée avec une vieille cathédrale posée en plein milieu. Tout est compliqué ou l’inverse en tous les cas il y a de l’ombre au pied de la cathédrale mosquée, et c’est ainsi qu’Allah est grand même avec Jésus planté dans le thorax ! Tout cela nous ramène à Averroès à un beau film de Youssef Chahine et donc à Durrell, tout est dans tout et vice versa. A présent j’ai du froid sur la nuque, dehors il fait nuit et la neige était là il n’y a pas si longtemps, saloperie de brume, merci Vialatte !

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