jeudi 13 mars 2008

Weekend – La Varieté (1982)


Le disque de Weekend La variété était très beau, presque aussi beau que celui des Young Marble Giants, mais autrement. Des instrumentaux latins et désinvoltes, des chansons brèves, sortes d’aperçus laconiques ornés d’arpèges circonspects, de la variété où les types savaient presque jouer, mais léger, léger, sans gras, tendre et émouvant.. Il y avait, aussi et surtout dans ce disque, suspendus en fin de seconde face deux sombres miracles en apesanteur: Nostalgia et Red Planes. Du Nico non sépulcral et sans harmonium, du Nico non guttural et non ontologique ; avec une admirable non chanteuse détachée et un vrai violon triste, mais pas trop. L’écoute de ce disque procurait un sentiment d’inquiétude lasse, de désespoir indifférent, une beauté précaire qui avait tout du prodige et de l’œil du cyclone réunis.. Ensuite Weekend sans Allison Staton est devenu Working Week, une plaisanterie sinistre, de la musique pour sofa beige et ascenseur bien huilé, un truc de froide hautaine qui sera démocratisé par le glaçon technique Sade. Allison Staton, elle, chantait comme on siffle en repeignant le plafond, à l’ombre des démons, c’est pourquoi nous l’aimions.


« Curious band. Like a mixture of Tom Tom Club, Joy Division, Manu Dibango, Anton Carlos Jobim and Young Marble Giants »

lundi 10 mars 2008

Adam Green - Sixes and Sevens (2008)



J’en vois, qui dans le fond, sautent comme des cabris affligés. Eh ! bien affectés caprins sachez que vous pouvez bien cabrioler nerveusement, vous rouler dans l’affliction la plus consternée, rien n’y fera, j’aime assez le nouvel Adam Green ! Moi qui étais, tel le cabri flapi et occis devant l’anti-folk à bougies, si peu enthousiaste devant les Moldy Peaches, me voilà ravi par l’habile et aimable recentrage crooner axial de l’ami Adam. Les deux, trois précédents opus solos du bonhomme exhibaient quelques promesses qui ne demandaient qu’à être tenues, celui ci confirme, certifie et tamponne. Adam Green à découvert un truc, son truc , son territoire : la chanson maligne et retorse qui n’invente rien, le professionnalisme matois de musiciens à qui on ne la fait pas… cette voix, chaude, grasse et grave, une voix de chanteur de charme au-dessus d’une mêlée bien ordonnée. Alors dans ce truc qui est donc un territoire et accessoirement un disque, il y aura, des musiciens bien rangés, et des voix bien peignées : Sinatra et Ray Charles, Harry Belafonte et Jim Morrison (donc Sinatra)… Scott Walker sans la métaphysique, Leonard Cohen sans l’épaisseur littéraire… des chansons de cow-boys au coin du feu… le troisième Velvet et même Carla Bley en majorette devant une fanfare bien huilée. Rien de nouveau sous les veilles lunes de l’inspiration, ce disque n’invente pas plus que ça, d’ailleurs il n’invente pour ainsi dire rien, il recycle, mais même pas conceptuel voyez-vous, juste comme ça pour le plaisir de l’auditeur. On aurait peu de peine à préférer les originaux, Sinatra, Walker, Reed ou pour les cabris du secteur, le sel d’un folk bricolo à candélabres ; reste que l’audition de ce disque, absolument non crucial, procure un semblant de plaisir, et que le plaisir c’est beaucoup, l’hédonisme et le plaisir, c’est la transhumance…



Ah ! J’oubliais, puisqu’il faut en finir, l’hédonisme, le goût pour les choses non cruciales reste avec la nympholepsie et paradoxalement la haine des corps vieillis - le trépas consécutif de ceux-ci - le dernier tabou d’une époque se croyant délivrée de tout. Libre car enchaînée par rien, si ce n’est par elle-même, grande puissance de Sacher Masoch !

jeudi 6 mars 2008

No comments - N°2

 

 

These Trails - These Trails (1973)

C’est un secret, je tourne autour depuis bien longtemps, une curieuse appréhension, un atermoiement coupable au creux de l’estomac ; les secrets les moins partagés sont les mieux préservés. Du reste à force de tourner autour de cet aérolithe incongru mes circonvolutions se sont transformées en une suite de lentes cabrioles. Aurez-vous la souplesse, et l’obligeance, de bien vouloir pirouetter mollement en mon encombrante compagnie ? Les aérolithes licencieux, vous effraient-ils ? Etes vous suffisamment souples et mous ? Grandes questions ! Me voilà avec de la crainte au coin des oreilles. Pour vous convaincre, vous apporter sur un plat argenté d’éventuelles réponses, Il va encore falloir que j’argumente, que je prouve et démontre savamment, alors que je suis si fatigué et si las de tout, toujours un peu souple, mais las, très… Cependant Allons-y, Alonzo ! Notre aérolithe incongru du jour est un private press hawaïen enregistré un jour de 1973. On imagine un jour de soleil, il y a plus de soleil à Hawaï. A son écoute on s’invente pour soi-même des diamants psychédéliques, des vagues pacific ocean blue, un paradis tropical, le mystère de la jungle luisante dans la rosée du matin. C’est, en fait, un bidule folk et bizarre avec un air décontracté, proto post acid-folk et anti-folk avant l’heure pour tout dire. Musique populaire hawaïenne, flûtiaux et guitares en bois... dulcimer, tabla, sitar et ukulélé avec des petites sautes électroniques en suture… Voilà pour l’orchestre. Pour le reste nous sommes devant de l'irréel, oui principalement de l’irréel ! Du flottant avec des voix aériennes de petites filles éthérées… Vous voyez bien ces adolescentes pâles sous le soleil ; ce quelque chose qui tourne autour d’elles, s’élève et les traverse ; cette lumière qui s’anime et les envahit . De l’allégresse et un grand calme. Une quiétude profonde et durable, du charme tissé d'or....Nous voilà inaltérables, domptés et en même temps indomptables. S' il y a dans ce disque une chanson en espagnol avec un garçon de passage bien palpable El Rey Pascador, le roi des pêcheurs… c'est surtout un disque de jeunes filles vaporeuses ... Alors oubliez Cocorosie et sa demi-Billie Holiday, oubliez la petite Bjork sur sa banquise comme Jacques Tourneur oublie Louis Jourdan sur un récif à la fin de la Flibustiere des Antilles, oubliez Stina Nordstam, je suis son Barbe Noire. N’oubliez pas Allison Staton, elle est inoubliable…. Voilà écoutez This Trails ! Vashti Bunyan dans la jungle, Claudine Longet sans le smart dry martini et les pistes de ski, Françoise Hardy… Bref n’oubliez pas d’écouter ce disque il est trouvable dans de semi-légales officines virtuelles, et n’oubliez pas de tourner autour comme l’austronésien tourne autour de l’aérolithe incongru. PS : Nous poursuivrons bientôt les débats par un doct : Importance du Ukulélé dans la musique populaire américaine. En attendant et pour patienter procurez-vous la compilation From Papeete to Teshupo.

dimanche 2 mars 2008

Psychogeographie indoor (6)

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Les racines ? Non-merci je préfère les branches ! Oui Rilke, les anges, la cime des arbres. Ce faîte là, les branches, les frondaisons, ces racines buvant le ciel. Il n’y a pas d’autres racines possibles. Pas les tristes tubercules de Maurice Barrès.. Pas de glaise, d’humus gras et de limon national… Il y a Rilke, Rilke et Bachelard, Bachelard et Baudelaire, l’air et les songes, les nuages, les merveilleux nuages. Il faut aimer les nuages et il faut aimer les étrangers qui les regardent passer. Il faut contempler le ciel à travers les branches et savoir ne pas trébucher dans d’hypothétiques racines…

Les racines ? Les branches ! Un jour de juin 1938 une tornade incongrue s’abat sur Paris ; elle fait deux morts : un quidam incertain, trépassé au bois de Vincennes, et devant le théâtre Marigny ; un passant assassiné par la branche maîtresse d’un arbre de belle taille. Triste concordance avec notre sujet, le passant était Odon Von Horvarth romancier et dramaturge mittleuropa réfugié en France pas encore moisie à l'abri des sinistres païens à flambeaux teutoniques ... Odon Von Horvarth qui devait quitter Paris le lendemain pour l’Amérique. Voilà qu’en sortant du Fouquet’s, une tornade, une branche et derechef un nouveau membre de la vaste communauté des trépassés. Curieux destin, moins tragique que chez Stefan Zweig ou Walter Benjamin, défunts plus sombres, car conscients de leur trépas, eux... Néanmoins circonstances curieuses et somme toute grande tristesse de l’ensemble.

« Je n’ai pas de pays natal et, bien entendu, je n’en souffre aucunement. Je me réjouis au contraire de ce manque d’enracinement car il me libère d’une sentimentalité inutile... » Pour paraphraser et synthétiser le bienheureux Bernard Frank : « avec un ton pareil, c’était l’Amérique, la branche d’arbre ou les camps. »


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C’est bien connu, Flaubert ne savait pas écrire. Prenez par exemple Madame Bovary, et bien dedans Emma à des yeux bruns ; une autre fois des yeux d’un noir profond ; et une autre fois encore des yeux bleus ! Croquignolet n'est-ce pas ? Se claquemurer dans un cloaque borgne, s’engueuler tout seul, raturer, toujours et encore, se relire à très haute voix, sans cesse, pour en arriver là ! Ce n’est pas très malin Monsieur Flaubert ! Et tous ces clignotements syntaxiques, toutes ces phrases tordues et non conformes envers la doxa admise et tamponnée, toutes ces erreurs, tous ces oublis vis-à-vis de la plus élémentaire vraisemblance ; cette « tête phrénologique peinte en bleu jusqu'au thorax » Vous faites un drôle de cacographe, Monsieur Flaubert !
Enfin rien n’est moins sur, l’écriture, le plus souvent, ne fleurit pas seulement d’un quelconque frottement rêche avec le réel, du respect envers les règles en vigueur non plus ; elle fleurit de multiples attouchements entre divers éléments et parmi ceux-ci du contact essentiel avec la parole, sans ce contact là les mots se dessèchent comme la fleur sans eau. Voilà pourquoi même si Flaubert est souvent invraisemblable, et oscillant vers l’erreur, il n’est jamais asséché… tari et penaud dans ses mots, car il se relit en s’oubliant, le bougre !

En conséquence comme le self séquestré normand relisons-nous sans cesse, cela fera toujours un lecteur, et n’oublions pas d’oublier la couleur des yeux d’Emma, cela va sans dire.

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