vendredi 28 avril 2006

Gerard Manset - Obok (2006)



« Nombreux et divers sont les moyens prescrits par les philosophes et les médecins afin de redonner la joie à un cœur attristé, de faire diversion des soucis et méditations obsédantes qui font tant souffrir de cette maladie. Mais, selon moi, aucun n’est aussi immédiat, aussi efficace, et aussi approprié qu’un verre de bon vin, de la gaieté, de la musique, et une joyeuse compagnie. Le vin et la musique réjouissent le cœur … »

Robert Burton – Anatomie de la Mélancolie

C’est éternellement la même chose… toute la misère du monde, ce funeste goût pour les guitares graillonneuses et les saxos toc, cette irrémédiable lourdeur encombrante. Qui est plus plombé-plombant que Manset, Scott Engel ? Peut-être et encore !
Et pourtant cela marche comme d’habitude, le Spleen Mansetien c’est quelque chose ! une sacré recette !! cette voix qui n’incarne que le chagrin enfermé au milieu d’arrangements patauds, alchimie bizarre, mais décisive pourtant. Manset est un très grand lourd-leger et un type qui ne frémit pas pour rien écoutez l’irrévocable « Ne les réveillez pas » impressionnant, on pourrait avoir les yeux humides, il FAUT …
Obok n’est pas aussi autiste que le dernier « Langage oublié » bon on n’est pas dans le primesautier complètement assumé mais Manset semble s’ouvrir un peu au monde, d’ailleurs chose inconcevable il envisagerait même de se produire en public , avec beaucoup d’imagination on envisage la scène !
Pour en revenir à Scott Engel et aux plombé-plombants, bien évidemment le maelstrom de Manset n'a pas la hauteur des écroulements Walkerien mais il y a d’indéniables teintes communes entre les deux croquignolets, l’autiste anglo-saxon a beau avoir meilleur goût (du sable dans la bouche) je ne vois pas deux albums en 2006 avoir un propos aussi consistant et définitif …

« Ce qui est acceptable et recommandé pour la plupart des gens l’est encore plus pour le mélancolique, mais seulement si sa maladie n’a pas pour origine cela même, si le malade n’est pas un innamorato frivole, un oisif fantasque, perdu dans ses pensées toute la journée, qui passe son temps à composer des sonnets, des madrigaux à la gloire de sa maîtresse... Dans tel cas la musique est très dangereuse … elle rendra ces mélancoliques fous, et le son de ces gigues perdura dans leurs oreilles … »

Robert Burton – La musique un remède

samedi 22 avril 2006

Un Kerouac chafouin


J’ai un gros faible pour « Satori à Paris », livre primesautier où Kerouac part à la recherche de ses ancêtres en Bretagne. Très drôle, cocasse, burlesque même, Kerouac est continuellement chargé au cognac, il prend le train baguenaude dans la campagne bretonne où on le regarde d’un air méfiant tout d’abord avant qu’un début d’intérêt ne se manifeste chez l’autochtone un poil dompté par ce singulier pochtron venu des Amériques…Dans « Big Sur » on retrouve un Kerouac un peu chafouin qui fatigué par le brouhaha ambiant se réfugie au bord de la mer, à Big Sur, dans une cabane isolée. D’ailleurs Kerouac n’aura fait que ça fuir, enquiquiné par ce qu’il avait inventé et qui le dépassait, les Beatniks, la contre culture. Alors que lui était plus travaillé par la spiritualité qu’autre chose. Bouddhisme peut-être assurément des bouts de vieux catholicisme en loucedé. Kerouac était aussi un grand panthéiste (ce qu’il y a de plus beau dans la poésie anglo-saxonne.) C’était aussi et surtout un homme libre. Libre de se tuer dans l’alcool, libre de se gâcher et de ne rien donner à ce consortium incertain que forme la société, libre de ne pas être concerné par un monde offrant toute une gamme de pesanteurs mordorées. Libre de ne pas être politique au sens merdeux. «Nouveau Redneck » , il se réfugie dans les jupes de sa génitrice entre deux delirium tremens … on le trouve puant de conformisme, alors que lui n’est que désolation, entre son frère mort, ses problèmes d’identités mal assumés, une vraie féerie morose, tout ça finira mal … genre de glauque divertimento franco-canadien au milieu des reptiles et de la fièvre, ensuite le silence … les écrits restent …

lundi 17 avril 2006

The Sound - From the Lions Mouth (1981)


C’est toujours la même histoire, la sincérité, les tripes sur la table, où est le vrai où est le faux ? Dans la tourbière post-punk il y a des sincères qui comme le Ian Curtis terminal cherchent le détachement, il y a des sarcastiques mélancoliques comme Colin Newman, des auto apitoyés mous comme Robert Smith, des centristes indéfinis comme Ian Mc Cullough … Adrian Borland, le leader de The Sound, lui est un grand sincère, un vrai type bouleversant, pas un poète tragique en représentation. Donc un type normal, terrien qui se débat avec de vrais démons. On dira qu’il ne triche pas. De l’intensité que de l’intensité, pas trop de subtilité vous me direz, mais est-ce si important ?!!

Déjà dans le premier album de The Sound : « Jeopardy » dès le premier titre « I can't escape myself » tout est là vraiment, plombé-plombant : « All my problems /Loom larger than life /I can't swallow /Another slice. » sur une musique dominée par des guitares acérées et une rythmique minimale rappelant Wire et Joy Division. « Jeopardy » est un disque un peu naïf où on a l’impression que le groupe fonce droit dans le mur« We are young/But are we strong?/We've held out/ For so long. ». L'énergie est encore juvénile.

Ce qui frappe dans le second album « From the Lions Mouth « c’est tout d’abord ce son franc du collier. Un son qui ne cherche pas à être mystérieux, à faire le malin, un son puissant et dense. C’est un disque qui se révèle par une écoute intensive le volume poussé au maximum. C'est aussi un disque d’une grâce simple (oui il y a de cela) une grâce non cachée, complètement ouverte, apparente et pleine d'une grande sincérité. Des le premier titre « Winning » Borland nous saisis avec une franchise émouvante « When you're on the bottom/Crawl back to the top /Something pulls you up/and a voice you can't stop » , il ne triche pas ce type vous donne beaucoup, et tout le disque est comme ça d’une intimité extraordinaire avec l’auditeur, une belle offrande empoisonnée. Entre confession et exaltation on ne baisse pratiquement pas de niveau : il y a l’héroïque « Contact the Fact » « Contact's the fact - I need it/Contact you because I need you » l’extraordinaire « Skeletons » nous vivons comme des squelettes ! tout un programme ! avec au milieu le pont le plus puissant à l'ouest du post-punk où quand la voix de Borland réintègre le bercail on reste comme pétrifié d’admiration ... Le très joy divisionesque « Fatal Flaw » sombre et à la mélancolie spongieuse ... le furieux « The Fire » et surtout le bouleversant « Silent Air » que l’on écoute la gorge nouée : Le titre que U2 -avec les mêmes armes pourtant- n’écrira jamais. Cette chanson où Borland essaye de contenir des flots d’émotions qui s’échappent de lui irrémédiablement, un grand moment, vraiment. Beaucoup seront rebutés par « From the Lions Mouth » qu’ils trouveront pataud voire naïf, du Interpol d’origine juste un peu mieux et franchement la new-wave circa 1980 ça ne brûle plus rien depuis longtemps. Et bien qu’ils sachent qu’ils se trompent, et que plus on l’écoute plus ce disque devient solennellement addictif, la sincérité je vous dis, c’est fou ce que l’on fait avec de la sincérité. D'ailleurs, qui aime au second degré ?

Adrian Borland prouvera que sa grande sympathie avec ses multiples démons intérieurs n’était pas feinte en se jetant sous un train en 1999. Il avait 41 ans. Décidément, tenter de s’échapper hors de soi même est une entreprise bien périlleuse.

vendredi 7 avril 2006

Le « croquignolet » du jour - Al Wilson



Tiens un autre Wilson !

Canned Heat aujourd’hui n’est plus grand chose deux trois titres qui resurgissent de temps en temps dans l’esprit de créatifs publicitaires se voulant très malins. Et hop !! le tour et joué, on va pouvoir vendre des voitures ou des cafetières avec une musique trop top cool mordorée vintage. Salopards !! Ben voilà on oublie la voix d’Al Wilson qui est une chose bouleversante d’une délicatesse tellement inusitée que vraiment en cherche comment malheureusement elle peut atteindre de si sinistres connards accrochés à leur efficacité merdeuse !
Al Wilson était un BIZARRE … Dans son enfance il passe des tests psychologiques qui révèlent en lui un génie, il n’en fait rien … Sa vue est tellement mauvaise qu’on le surnomme « Blind Owl » (chouette aveugle ) donc rien pour réussir, trop intelligent un peu trop décalé et fragile, pas aidé par la vie. Aidé par lui-même il trouve sa voie, c’est en effet un grand collectionneur de disque de blues et un jour par hasard il rencontre Bob Hite employé du magasin de disque où il fouinait chafouin.. Voilà l’alter ego est trouvé la voie(x) aussi..
Début de l’histoire Canned Heat les deux hommes se reniflent un temps et hop c’est parti … Bob Hite est barbu exubérant, énorme !! The Bear quoi ! Un peu en retrait, timide Wilson lui tisse une toile plus subtile, il est doué. C’est un guitariste slide très fin, un harmoniciste extraordinaire et surtout il y cette voix, haute, fragile comme de la porcelaine en équilibre sur le buffet. Du blues quoi ! Al Wilson vibre et ce qui sort de lui ne laisse rien présagé de bon …
Si Bob Hite s’accoutume en bon hédoniste Rabelaisien au succès divers et (a)varié de la vie Rock’n’roll, lui semble assez vite dépassé, il devient junkie, passe des heures dans les forêts à étudier les arbres. Un jour il précipite sa voiture contre un mur, il ressort indemne par miracle. Pourtant à trop balader sa mélancolie dans les bois, évidemment …un jour de septembre 1970 on le retrouve mort au pied d’un arbre, couché dans un sac de couchage, un flacon de comprimés à la main, « Blind Owl » … Il avait 27 ans.

Un dispositif qui gonfle ...



Je suis assez sensible à la poésie guillerette que diffuse l’œuvre de Patrick Schulman... Une vraie singularité, un auteur au sens fort avec des obsessions qui naviguent à peu près toujours dans les mêmes zones, en gros du sexe tordu, d’épais problèmes avec les corps divers et variés. D'ailleurs, Luchini à part chez Rohmer ne sera jamais aussi bien, aussi inquiétant …et on ne parlera pas de Bruel dont il avait saisi la particularité absolue : un corps plein de vides variés, vides flottants bravement au-delà de l’intellect, étonnant non ? Tout cela donne incontestablement un STYLE oui un STYLE ! bordel de vrail !!!
Tiens Zidi aussi … j’aime beaucoup celui avec Paul Preboist aux JO, il est parfaitement mou du genou, délicieusement mid seventies, pre-giscardien même . Il manque pourtant - si mes souvenirs ne me trahissent pas - la marque de fabrique des grands Zidi(s): le délire machiniste doux qui forme l’accent zidien la machine à claque des « Sous Doués », la poupée gonflable « d ‘Inspecteur La bavure », l’allergie de Coluche dans « Banzai » (ici le corps est un dispositif qui gonfle), la machine à fabriquer les poulets de « l’Aile ou la cuisse » (on esquive de ce fait la grippe bidule ), l’appareil à dépolluer dans « la Zizanie ». Zidi est un spécialiste de l’accessoire foireux, de bric et de broc, voilà c'est emballé ! Tout cela nimbé d’une petite musique généralement croquignolette. L’art zidien est très très langoureux dans les seventies, formellement mou mou et surtout naïf et gentiment nigaud. Dans les eighties il s’adapte à l’air du temps et devient plus cynique avec des films comme « les Ripoux », « Association de Malfaiteurs » ou le terrifiant « Les Rois du Gag » film limite poujadiste ou il caricature à très gros traits le cinéma d’auteur avec un personnage mélangeant Welles, Godard Fellini et Kubrick (ce qui prouve qu’il n’a heureusement pas compris grand-chose.) Zidi a même commis un film sérieux « Deux », avec Depardieu et Maruschka Detmers mélodrame,assez intrigant…

Ps : Le meilleur de Zidi, « La Moutarde Me Monte Au Nez » et « La Course à L’Echalotte » avec le couple Pierre Richard, Jane Birkin charmant, même sans la patine.

mercredi 5 avril 2006

Steve Morgen – Morgen (1969)



Sacré coquet ce Steve Morgen nous mettre le cri du guilleret Munch en couverture franchement. ! Et cela en 1969 a la fin des radieuses sixties pleines de fleurs sur le balcon hein ! Franchement Munch difficile de trouver plus plombé-plombant non ? Que des bouts de névroses qui dévalent et barbouillent la toile un vrai sagouin du bonheur voilà Munch !

Bon du balcon on peut sauter, et dans l’appartement derrière ça overdose sec… On écoute ça en ayant l’impression de bouffer le contenu d’un cendrier froid, d’ailleurs on commence par un furieux « Welcome to the Void », bienvenu dans le vide ! le père Richard Hell n’a donc rien inventé, il y cette guitare fuzz étonnante comme un truc en fusion sur la gauche et la guitare rythmique qui plante le truc un peu à coté. La voix de Morgen , désabusée presque dégagée surnage même si elle est tout d’un coup rattrapée par l’effroi dans de grandes exhortations glaçantes ! Steve Morgen est un type excité, et il y a une urgence incontestable chez lui !
On poursuit dans le bizarre avec « Of Dreams » sorte de mélange tonitruant entre le proto Pink Floyd Barettien et les Stooges une prescience de ce que sera le post-punk, même batterie qui roule , même sécheresse on se croirait chez Pere Ubu ou alors dans sa préhistoire, la voix se fait plus douce , flottante presque sexy.
Il y a « Eternity in Between » et ses cloches et tambours, bizarre équilibre, maladresse touchante, « She's the Nitetime » quasi pop et serein -Morgen a beaucoup écouté les Who a priori -, «Purple » qui se termine par un cri terrifiant . Le dernier titre « Love » est une épreuve de force de dix minutes, cul-de-sac psychédélique avec ses guitares furieusement tordues presque du Hendrix aux petits pieds, fébrile tout ça, hanté par des fantômes que l’on devine un brin chimiques Bon au bout d’un moment les solos de guitares mordorées hein … deviennent de la performance sportive, ce titre est une impasse où Morgen se perd, difficile de se perdre dans une impasse pourtant !
Voilà donc un joli disque un peu nauséeux - on est pas loin de la gueule de bois en permanence-, pas crucial mais éclairant..
D’ailleurs c’est toujours pareil. On commence « Flower Power » les fleurs dans les cheveux, puis on commence à bouffer les fleurs, insensiblement on rentre dans la chambre, on se rapetisse, se néglige, une barbe incongrue commence à pousser dangereusement. Des petites cuillères qui chauffent, un restant de veine disponible, pendant ce temps sur le balcon les fleurs commencent à pourrir … Qui a des nouvelles de Steve Morgen ?