mercredi 15 mars 2006

La prose du Transcanadien


Louis Hémon est insaisissable. Quelques manuscrits, c’est tout ce qu’il laisse. Pas un ami, pas une lettre aucune confidence, rien du coté des anecdotes, une suite de disparitions, néanmoins deux faits indéniables : il est né en 1880, mort en 1913…
Son œuvre sera entièrement posthume, comme exhumée. « Maria Chapedlaine» est son livre le plus connu, écrit au Canada ou il s’était fait bûcheron entre deux emplois de bureaux mornes! Rédigé pendant ses heures de loisir, c’est un récit sans action sur la vie dure et nue de personnages très frustres qui se débattent au cœur d’un interminable hiver, loin des villes, au bord des forêts. Récit terrien jusqu'à l’apparition sourde de l’amour qui envahie l’héroïne, apportant au livre un intérêt insoupçonné jusqu’alors. Tout cela est dans l’ensemble bien plombé-plombant, un peu tristounet et manque de saine méchanceté ! Le vrai Louis Hémon écrivain n’est pas là ! Il était à Londres entre 1903 et 1911...
Il faut indéniablement préférer ses romans londoniens, « Battling Malone pugiliste » par exemple qui raconte l’ascension d’un jeune boxeur ,Malone. Celui ci se dégage du peuple et du sinistre pavé londonien. Il est initié au « noble art » par la grâce de quelques gentlemen philanthropes, rencontre l’amour, mais tout cela n’est qu’illusion… Bien évidemment les barrières sociales ne sont pas si faciles à franchir. La femme élégante qui tombe amoureuse de lui n’est séduite que par sa force animale. Tout dans ce roman est admirablement précis et plein d’une vélocité merveilleuse, d’un humour presque gelé, aussi efficace que les coups assenés par un boxeur vif, justement. Le chef-d’œuvre de Hémon son livre le mieux écrit, celui où il se déploie le mieux, c’est « Monsieur Ripois et la Mémésis » publié seulement en 1951. M Ripois est un français médiocre qui vivote à Londres et qui par nécessité séduit, puis abandonne, des londoniennes de tous milieux, c’est un personnage assez détestable : Sec, cynique, parfois féroce, toujours lâche.. Sa futilité et son insanité ne peuvent l’emmener que vers une catastrophe annoncée, balisée par tout le récit… Quand il s’affronte à la pureté, quand sa conscience s’éveille enfin, il est trop tard et la fin du livre avec cette irruption incongrue des sentiments ne peut être que bouleversante. Hémon se réfugie à Londres en 1903, que fuit-il ? Sa famille bourgeoise et compassée, peut-être. … Comment subsiste-t-il ? Dans de médiocres emplois de bureau … Il se serait marié , une épouse hypothétique serait morte en 1911, on n’en sait pas plus…. Il est sûr qu’avec Louis Hémon il faut faire avec la part intime, qui est comme bien souvent la part d’ombre. Sa biographie manquante se niche dans ses romans, et la force de ses derniers comme toujours tient de la lente transformation de l’intime vers l’expression pleine et entière, vers l’œuvre en somme…
En 1911 donc il se réfugie au Canada, se fait bûcheron, écrit Maria Chapdelaine. Attiré par l’ouest il prend la route à pied, longeant une voie ferrée, le 8 juillet 1913 il est tué net par le « Transcanadien », voilà …

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