lundi 30 janvier 2006

L’Europe d’hier


«Le Monde d’Hier» de Stefan Zweig est un livre souvent passionnant . Passionnant parce que Zweig nous raconte l’Europe intellectuelle de 1895 à 1941, celle d’une génération d’écrivains, d’artistes et de philosophes qui se heurtent de pleine face à l’histoire. Zweig décrit parfaitement tout cela, il nous parle de ses amis Schnitzler, Rilke, Freud ou Valery en européen convaincu qui ne hait rien tant que le nationalisme, en Viennois éclairé en somme ? Et il y a beaucoup de plaisir dans tout ça, un vrai amour pour les choses de l’esprit, un sommet de civilisation, bientôt rattrapé par les diverses barbaries du 20°siècle. Le livre est bouleversant car il est hanté par cela, la monté des horreurs de la boucherie de 14-18 à l’apogée des pantins nazis. En 1941 Zweig est réfugié au Brésil et quand il écrit «Le Monde d’Hier» il a déjà préparé son suicide, et tout doit être ressenti par ce filtre de mélancolie assumée, une sorte de précis de décomposition ou il est question du « Suicide de l’Europe. » Et il y a du remord et de la culpabilité chez lui, de l’impuissance face à la mort de ses croyances et de ses espérances. Devant tant de lourdeurs mêlées, il ne peut que mourir lui-même. Le livre est cela aussi un renoncement plein de chagrin, et le renoncement est une belle chose parfois… Un autre écrivain face à son temps c’est André Suarès qui publie « Vues Sur L’Europe » en 1939. Lui n’est pas dans la mélancolie et la résignation, C’est un pamphlétaire de combat, qui avec courage s’attaque à l’Allemagne nazie depuis 1930 un peu dans l’indifférence générale il faut bien dire. - Les écrivains de l’entre deux guerres ayant une somme de préoccupations parfois éloignées de ce combat pourtant crucial -. Suarès lui plonge dans la bataille il insulte Hitler à longueur de pages et s’il est juif il répugne à porter ses racines comme une pancarte, il publie d’ailleurs ses diatribes sous le pseudonyme gaélique de « Cardeal » pour mieux brouiller les pistes. Suarès est un grand visionnaire qui se trompe rarement (Sur Mussolini), qui écrit dans la passion avec des mots qui frappent comme des balles. Son œuvre en dehors des pamphlets est considérable, romans, poésies, écrits sur l’art, récits de voyages, presque cent volumes !!! Son œuvre est considérablement oubliée aussi...

http://www.unige.ch/lettres/istge/mysy/allemagne.html

Mais à soixante ans passés il faudrait avoir des forces particulières pour recommencer sa vie de fond en comble. Et les miennes sont épuisées par les longues années d'errance. Aussi, je pense qu'il vaut mieux mettre fin à temps, et la tête haute, à une existence où le travail intellectuel a toujours été la joie la plus pure et la liberté individuelle le bien suprême de ce monde. Je salue tous mes amis. Puissent-ils voir encore l'aurore après la longue nuit ! Moi je suis trop impatient, je pars avant eux."
Stefan Zweig, Pétropolis, 22-2-42

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Parmi les grands viennois, il y eut également Joseph Roth que le désespoir rendit alcoolique et qui réfugié en France, se vit demander par Gide "Pourquoi buvez-vous autant ?", à quoi il répondit "comment faites-vous pour ne pas boire ?".

Anonyme a dit…

A la lecture de ce livre on mesure tout le drame européen. voilà ce que nous aurions pu être, voilà ce que nous sommes devenus. le tournant c'est la fin de la première guerre mondiale, l'éclatement du magnifique maelstrom (de races, de langues, de culture, d'idées) austro-hongrois. la fin du cosmopilisme viennois, de cette société du raffinnement, de l'élégance, de l'ouverture et de l'intelligence.
puis vinrent les années sombres, le repli sur soi, l'ère des peurs et des rancoeurs et l'implosion finale que constitue la seconde guerre mondiale.
ce livre est bouleversant. comme l'est dans une veine plus exigeante et philosophique, mais à propos du même drame "l'homme sans qualités" de musil.