vendredi 10 décembre 2004

The Shop Around The Corner - Ernst Lubitsch (1939)



Sous les lustres étincelants de la Paramount les téléphones blancs sonnent souvent, mais ils ne donnent pas beaucoup de nouvelles du monde. The Shop Around The Corner sera pour Lubitsch une exception merveilleuse, un film où il pourra décrire  un monde de petits employés, de bourgeois un peu étriqués. Un monde loin des altesses et du champagne, un monde presque réaliste, mais loin du réalisme, un monde  où dans  une Budapest stylisée, une mitteleuropa fantasmée, les flocons de neige tombent si parfaitement qu’ils renforcent le côté « conte de fées » du film.
The Shop Around The Corner est donc une sorte de “conte de fées” qui parle du monde, L’un des sommets de la Lubitsch Touch, un film merveilleux et doux, mais pas si simple que ça en fait, sur le désir, sur la sexualité, sur le simulacre, sur la lutte feutrée des classes il ouvre des portes assez inattendues. La boutique de Matuschek est un est autre petit monde en lui-même, où l’on  s’intéresse d’abord à cette chose assez indéfinissable qu’est le sentiment amoureux ( « l’intrigue » amoureuse puisqu’il faut la nommer ainsi). Un quiproquo épistolier met en valeur l’antinomie entre les mirages de l’amour idéal fantasmé et la réalité du désir charnel (ou comment être amoureux de son propre état amoureux plus que de l’être convoité, thème que l’on retrouve entre autres chez Proust). Margaret Sullavan, la petite vendeuse, aime de manière éthérée un poète épistolier délicieux qu’elle n’a jamais vu, d’un autre coté elle désire inconsciemment être renversé dans l’arrière-boutique par James Stewart, employé qu’elle juge terne et médiocre et qu’elle repousse d’un froid mépris. Voilà pourtant que le vendeur prosaïque et l’épistolier distingué ne font qu’un, James Stewart et Margaret Sullavan vont bientôt pouvoir fusionner corps et âmes mêlées.
Lubitsch  transforme l’habituel triangle amoureux en un duo, la conquête de l’être aimé passant par la destruction d’un rival réel ou fictif. La scène finale, véritable film dans le film en est la trace, James Stewart déclare à Margaret Sullavan avoir rencontré le correspondant sublime, le décrivant comme gros, pantouflard chômeur sans le sou et pour tout dire profiteur et vaguement coureur de dot, Sullivan est effondrée, quoique très bien dans son corps, elle assume maintenant pleinement son attirance physique envers le vendeur terne, elle se résigne pourtant à rejoindre son amant fantasmé quand à cet instant précis Stewart lui révèle la vérité, lui et l’épistolier charmant ne font qu’un. Instant miraculeux, le corps et les sentiments se rejoignent dans une alchimie parfaite.
Lubitsch s’intéresse à l’intrigue amoureuse, mais en second plan la boutique vit elle aussi, Matuschek le patron onctueux puis dur et cruel devient neurasthénique et tente de se tuer en apprenant l’infidélité de sa femme ; Pepi le petit livreur le sauve et est nommé comme vendeur ; Vardas l’employé mielleux de Matuschek est l’amant de sa femme ; Pirovitch l’ami fidèle est un peu peureux ; tout un petit théâtre, triste et gai où tous les personnages ont une vie autonome et existent vraiment.
Si Lubitsch était un prince, c’était aussi un magicien, maître total de ses instruments, capable de remuer en nous des sentiments profonds de manière quasi invisible et légère, capable de fusionner le grand style viennois à la comédie classique hollywoodienne avec une ferveur détachée et pleine d’ironie. Pour finir, il faut dire un mot de Jimmy Stewart, vibrant, fiévreux, hésitant, d’une gaucherie sur le fil du rasoir, il est extraordinaire, comme d’habitude et même un peu plus dans ce film.
.

Aucun commentaire: